L’expression est née de la rencontre entre les termes « pop » et « féminisme ». La culture « pop », apparue dans les années 1950 sous l’impulsion du collectif britannique The Independent Group, désigne une culture de masse, jetable, populaire. Le pop art est indissociable d’un mythe, celui de la société de consommation à l’occidentale. Il ne se prend guère au sérieux ; il est ironique, frivole, voire cynique. Le peintre Richard Hamilton le définissait par ces quelques mots, en 1957 : « Populaire, éphémère, jetable, bon marché, produit en masse, jeune, spirituel, sexy, astucieux, glamour et qui rapporte gros. » Pour le philosophe Richard Mèmeteau, « la pop culture est située par beaucoup du côté du postmoderne, de la parodie et du collage. […] Il n’y a aucune façon de préserver absolument un discours, une chanson, un signe ou un vêtement d’une récupération. On peut au mieux s’entraîner à se les réapproprier, c’est ce que propose la pop culture ».
Encore peu étudié, le pop féminisme ou le féminisme pop – comme on voudra – est un « féminisme de masse ». Sa principale caractéristique est qu’il se diffuse largement par les réseaux sociaux. Il se partage en un clic, une adhésion, une pétition en ligne, un « like » sur Facebook, un retweet. Le triptyque du pop féminisme est : sororité, immédiateté, viralité.
Le pop féminisme se trouve principalement dans les domaines concernés par la culture populaire : la musique, la mode, la télévision. Dans la musique, il est incarné par ces popstars qui ont fait du girl power un totem ; citons principalement la chanteuse américaine Beyoncé et sa tournée en 2014, où le mot FEMINIST était inscrit en lettres de lumière sur la scène, et cette chanson, Flawless, qui cite les propos de l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie et son texte Nous sommes tous des féministes – un manifeste traduit en plusieurs langues et largement diffusé dans le monde entier – rappelons qu’en 2015, chaque lycéen(ne) suédois(e) de plus de seize ans s’en est vu(e) remettre un exemplaire.
Voilà un texte court, facile à citer : la pop culture, c’est avant tout l’art de la reprise, de la référence, de la réplique en série (songeons aux Marilyn Monroe d’Andy Warhol). Il est incarné par une popstar jeune, brillante, sexy, et qui rapporte gros : on ne peut rêver portrait plus fidèle de Beyoncé, à la fois pur produit commercial et artiste accomplie. Beyoncé effectue la jonction entre la culture mainstream – la culture populaire – et la culture underground, comme le résume parfaitement la chanson Run the World (Girls) (2011), son hymne popféministe : cela donne un mélange bizarre et tonique de hip-hop autotuné, de musique militaire, de musique soul, de dancehall – sous-genre du reggae – et de go-go – sous-genre du funk. Le pop féminisme, comme le pop art, c’est l’art du collage.
Le pop féminisme entretient un rapport ambivalent avec l’histoire du féminisme. Il s’en écarte tout en s’en inspirant. « On n’a pas besoin d’avoir lu Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir pour faire partie du club », expliquait ainsi en 2014 au magazine L’Obs Marine Normand, cofondatrice de Retard Magazine, un blog de pop culture. Il s’agit avant tout de s’en approprier les symboles. Il est ainsi possible de porter des sweat-shirts en coton à 50 dollars achetés sur Internet où il est écrit « The Future is Female » (« Le futur est féminin »), copies conformes de ces vêtements vendus dans les années 1970 par une librairie féministe et lesbienne new-yorkaise, Labyris Books. On peut ainsi porter un tel sweat-shirt sans être féministe, ou lesbienne. Et sans lire de livres…
De la même façon, la résurrection pop de « Rosie the Riveter » est exemplaire. Cette icône américaine, jeune ouvrière musclée vêtue d’un foulard et d’un bleu de travail, symbolise le travail féminin effectué pendant la Seconde Guerre mondiale : alors que les hommes mouraient au combat, les femmes trimaient dans les usines d’armement. Son gimmick est simple : « We Can Do It! » (« Nous pouvons le faire !»). Volontariste, accrocheur, c’est un slogan parfaitement pop féministe. Rosie the Riveter représente l’irréversibilité de l’émancipation féminine. Ce qui est acquis est acquis : une fois la guerre terminée, les femmes ne retourneront pas si vite au foyer. Et le bleu de travail de Rosie de devenir, au fil des années, le symbole de l’émancipation économique des femmes américaines.
Aujourd’hui, la classe ouvrière n’est plus ce qu’elle était, mais Rosie the Riveter est partout. Elle orne des pastilles à la menthe appelées « Empowermints », mot-valise composé du terme « Empowerment » et de… « menthe » – le pop féminisme adore les jeux de mots. On trouve également de petites figures articulées en plastique Rosie the Riveter. Mieux, l’ouvrière des années 1940 est devenue un mème – un phénomène reproduit en masse sur Internet. On en fait des GIF animés, des détournements.
Bouclons la boucle et résumons le pop féminisme en une image : le 22 juillet 2014, Beyoncé poste une photographie sur le réseau social Instagram. Vêtue d’une chemise en jean et d’un foulard, elle montre les biceps et fait la moue en imitant Rosie the Riveter devant une affiche sur laquelle on lit, naturellement, « We Can Do It! ». L’image a été « aimée » 1,4 million de fois.
• Bibliographie : Hamilton R., Collected Words, Londres, Thames & Hudson, 1983. – Mèmeteau R., Pop culture. Réflexions sur les industries du rêve et l’invention des identités, Paris, Zones, 2014. – Ngozi Adichie C., Nous sommes tous des féministes, traduit de l’anglais (Nigeria) par Mona de Pracontal et Sylvie Schneiter, Paris, Gallimard « Folio », 2015. – Vaton M., « Artistes, auteures, businesswomen : qui sont les féministes pop ? », L’Obs, 22 juin 2014.
Johanna Luyssen
→ Art ; Chanson ; Médias ; Performance ; Séduction ; Troisième vague.