Depuis la constitution d’un mouvement féministe organisé à la fin du XIXe siècle, des hommes, bien que minoritaires, ont toujours participé aux luttes féministes. C’est d’ailleurs un homme, Léon Richer, qui s’impose comme « père du féminisme » en contribuant à initier le mouvement à partir de 1869. La mixité est alors de mise et on peut estimer la part des hommes à environ un tiers des quelques centaines de militant.e.s féministes jusqu’aux années 1890. Mais progressivement les femmes affirment leur autonomie et entendent prendre la tête du combat. Les hommes, bien qu’ils constituent toujours des militants recherchés pour les différentes ressources (notamment politiques et économiques) qu’ils détiennent tendanciellement plus que les femmes, sont ainsi progressivement écartés des postes de direction des associations à partir des années 1900-1910. Cette nouvelle configuration historique conduit alors à une baisse notable de la part des hommes au sein d’effectifs militants qui ne cessent de croître, pour atteindre à peine 10 % à la veille de la Deuxième Guerre mondiale.
Les années 1970 sont symbolisées par la non-mixité du Mouvement de libération des femmes (MLF). En effet, influencées par les mouvements des femmes et des Noirs aux États-Unis et ayant fait l’expérience du sexisme dans les groupes politiques, notamment au moment de Mai 68, les militantes féministes posent la non-mixité en condition politique de l’émancipation des femmes. Pour autant, les hommes ne sont pas absents de toutes les mobilisations féministes des années 1970. Au ml f, la non-mixité s’impose pour les groupes de parole et les assemblées générales mais les manifestations de rue et certains événements sont ouverts aux hommes, à condition de respecter les conditions posées par les militantes (comme être en fin de cortège, assurer la crèche lors des journées de la Mutualité de 1971, etc.). Mais ces conditions restrictives se révèlent peu attractives pour les hommes qui sont rares à s’y engager. En revanche, la lutte pour l’avortement libre et gratuit entre 1973 et 1975 se structure autour d’associations mixtes comme le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC), le Mouvement français pour le planning familial (MFPF) et Choisir. Les hommes sont alors plus nombreux à s’y investir mais les tensions nées de la division sexuée du travail militant (particulièrement au MLAC où les femmes dénoncent la division entre les femmes qui écoutent les femmes venues avorter et les hommes, médecins qui pratiquent les avortements) et le vote de la loi conduisent à un désengagement massif des hommes. Des initiatives de groupes d’hommes désireux de lutter contre « la virilité obligatoire » naissent dans la seconde moitié des années 1970 mais restent marginales (au plus quelques centaines d’hommes) et ne perdurent pas au-delà de la première moitié des années 1980.
Les années 1980 et 1990 sont marquées par une large féminisation des effectifs militants. Mais à la fin des années 1990 l’arrivée d’une nouvelle génération militante se distingue par la mise en avant de la mixité, à l’image de l’association Mix-Cité créée en 1997. Dans le même temps, des militantes ayant connu les années 1970 constituent également des collectifs mixtes comme le Collectif national pour les droits des femmes (CNDF) ou Les Chiennes de garde. Pour autant, les militantes, qu’elles aient milité dans les années 1970 ou qu’elles en revendiquent la filiation, sont conscientes des rapports de pouvoir entre hommes et femmes qui peuvent se (re)produire à l’intérieur des groupes militants et y sont particulièrement attentives. Dès lors, les hommes sont peu nombreux à s’investir dans ces groupes puisque l’on peut estimer à moins de 15 % leur part parmi les militant.e.s des collectifs mixtes. Les discours de forte valorisation de la présence des hommes sont en net recul à partir des années 2010.
Si les contextes militants sont donc plus ou moins attractifs pour les hommes, les hommes qui s’engagent ont des profils spécifiques. De classes moyennes ou supérieures intellectuelles et non racialisés, ils cumulent d’abord des caractéristiques sociales favorables à l’engagement politique. De plus, ils ont connu dans leur famille, leur scolarité, leur couple ou leur profession des expériences susceptibles de les sensibiliser aux revendications féministes. Cependant, ces prédispositions ne se traduisent par l’engagement qu’à la faveur de « disponibilités biographiques » (faibles contraintes professionnelles, conjugales et/ou parentales) et de l’insertion dans des groupes politiques proches des collectifs féministes. En effet, c’est par leur présence dans des lieux militants proches des féministes (« nébuleuse républicaine » sous la IIIe République, extrême gauche dans les années 1970, différents réseaux politiques de la gauche depuis les années 2000) que certains hommes découvrent les mouvements féministes. À ce moment de leur trajectoire, leurs dispositions sont alors activées par la rencontre avec les groupes féministes et permettent le passage à l’engagement. La pérennité de leur militantisme est assurée par un ensemble de rétributions, parfois matérielles, plus souvent symboliques, ou par l’accumulation de savoirs et savoir-faire reconvertibles dans d’autres espaces sociaux. Dès lors, l’affaiblissement de ces rétributions, ou leur concurrence avec d’autres sphères sociales telles que la famille ou la profession, fragilise le militantisme, conduisant au désengagement.
• Sources : Jacquemart A., Les Hommes dans les mouvements féministes. Socio-histoire d’un engagement improbable, Rennes, PUR, 2015.
Alban Jacquemart
→ Contraception et avortement ; Deuxième vague ; Droit ; MLF ; Planning familial ; Première vague ; Suffragisme ; Troisième vague.