Née le 18 mai 1928 à Paris (XIIe arr.). Michelle Perrot est née dans une famille de la bourgeoisie commerçante parisienne. Son père, négociant en cuirs dans le quartier de Saint-Denis, antimilitariste, anticlérical, souhaite que sa fille (unique) devienne médecin, à tout le moins qu’elle fasse des études supérieures, après son éducation au cours Bossuet, institution pour jeunes filles pieuses de bonne famille, où la jeune fille s’est découvert un intérêt pour Bergson, l’existentialisme et le marxisme.
En 1946, après son baccalauréat, elle entre à la Sorbonne où le sentiment de faire partie du « camp des injustes », la « honte » et le « remords d’être née protégée » et d’avoir vécu une enfance aisée entre meubles anciens et château de vacances, tout en étant attirée par le Paris populaire des Halles, l’orientent vers l’histoire sociale et l’étude du monde ouvrier. Elle découvre alors la liberté et, avec éblouissement, les grands historiens du moment : Victor-Louis Tapié, Pierre Renouvin et surtout Ernest Labrousse, auprès duquel se pressent Michelle Perrot et ses contemporains ; l’historien conseille en 1949 à la jeune historienne de travailler sur les coalitions ouvrières de la première moitié du XIXe siècle, plutôt que sur Simone de Beauvoir, sujet jugé indigne d’une thèse.
Un temps mystique et catholique pratiquante au point de former, lycéenne, une section de la JECF (Jeunesse étudiante chrétienne féminine), elle s’éloigne peu à peu de la religion, est attirée par le communisme et fréquente ponctuellement la cellule animée par Annie Kriegel.
A partir de 1951, professeure agrégée au lycée de jeunes filles de Caen, elle a pour collègues et amies Mona Ozouf et Nicole Le Douarin qui partagent son intérêt pour la question des relations entre les sexes. En 1953, elle épouse Jean-Claude Perrot, historien et enseignant lui aussi, avec lequel elle forme un couple de compagnons de route « fascinés mais hésitants » du PCF, chrétiens de gauche en rupture progressive avec une Église jugée trop fermée.
Dès le début des années 1950, Michelle Perrot milite contre la guerre d’Algérie, adhère à l’Union des femmes françaises, organisation communiste qui entend mobiliser contre le conflit algérien, prend même, avec son mari, sa carte au Parti communiste mais la rend au bout de trois ans, en 1958.
De 1957 à 1960, elle est détachée au CNRS. Avec Jean Maitron, qui anime l’Institut français d’histoire sociale, elle organise différentes manifestations scientifiques, dont, en 1960, un colloque sur « le militant ouvrier », qui donne naissance à la principale revue d’histoire ouvrière, puis d’histoire sociale en général, Le Mouvement social. Assistante d’Ernest Labrousse à l’Institut d’histoire économique et sociale de la Sorbonne, elle est au coeur des événements de Mai 68 auxquels elle participe avec enthousiasme et qui apposent une empreinte indélébile sur l’orientation de ses travaux : elle rêve alors d’une « université critique » (Perrot, 1998) au point de quitter la vieille université parisienne pour la toute nouvelle Paris VII-Jussieu, dès 1969. En 1971, elle soutient sa thèse d’État sur Les Ouvriers en grève, 1871-1890, publiée en 1974 et qui contribue à la naissance de la sociologie historique.
Certes les femmes n’occupent qu’une petite partie de ce travail de recherche, la grève étant, au XIXe siècle, un « acte viril » et l’historienne se révèle beaucoup plus sensible « à la xénophobie […] qu’au sexisme ouvrier » (Perrot, 2006) ; mais au début des années 1970, dans le sillage du mouvement de femmes auquel elle participe « à la base », Michelle Perrot opère sa « conversion féministe » (Perrot, 1998) et s’engage dans ce qui est alors un domaine en construction et devient un axe principal de ses travaux, l’histoire des femmes.
En 1973, devenue professeure, elle organise avec Fabienne Bock et Pauline Schmitt le premier cours sur les femmes à Jussieu, intitulé « Les femmes ont-elles une histoire ? ». La réflexion s’approfondit grâce au GEF (Groupe d’études féministes) fondé en 1974 par Michelle Perrot et Françoise Basch : de ce groupe – non mixte – d’études féministes émergent de nouveaux thèmes de recherche (place de la psychanalyse, sexualité, travail domestique…) et se nouent des liens avec des chercheuses américaines. De même, à partir de 1978-1979, Michelle Perrot co-anime (avec Arlette Farge, Cécile Dauphin, Christiane Klapisch, etc.) un séminaire de lecture à l’origine de la revue Pénélope, des premiers Cahiers pour l’histoire des femmes et du colloque de 1983, « Une histoire des femmes est-elle possible ? ». Ainsi se constitue le noyau dur de l’équipe dirigée par Michelle Perrot et Georges Duby autour de l’Histoire des femmes en Occident (Plon, 1991-1992). Cette entreprise éditoriale rend visibles les recherches nouvelles menées dans les universités occidentales et fait « entrer l’histoire des femmes dans l’Histoire » (Clio, 2010).
La priorité donnée par l’historienne aux recherches sur les femmes s’inscrit dans une entreprise à plus large visée, en continuité avec ses premiers travaux de recherche : il s’agit de donner une histoire et de rendre la parole aux « silences de l’histoire » : outre les femmes, les ouvriers grévistes, mais aussi les prisonniers, le monde carcéral dans son ensemble. Ainsi Michelle Perrot entreprend-elle dès 1972 des recherches sur l’histoire des prisons qui la rapprochent de Michel Foucault puis de Robert Badinter pour le séminaire sur « la prison républicaine » (1986-1991). Explorer les zones d’ombre, c’est aussi s’intéresser à la vie privée, longtemps absente, comme les femmes, des préoccupations historiennes ; ainsi Michelle Perrot est-elle sollicitée en 1982 par Georges Duby pour diriger le tome de l’Histoire de la vie privée consacré au XIXe siècle. Cette expérience constitue pour elle un « véritable laboratoire » à l’origine de cours et séminaires qu’elle organise à Jussieu, notamment avec Arlette Farge. Son Histoire de chambres publiée en 2009 (prix Femina Essai) s’inscrit comme un prolongement, plus personnel, de cette réflexion sur l’intimité, la vie de tous les jours, la relation aux objets familiers.
Cette attention au quotidien, cette révision des rapports entre centre et périphérie qui accorde à la seconde autant d’intérêt historique qu’au premier, correspondent à un moment de renouvellement des méthodes et des sources. Les travaux de Michelle Perrot présentent une grande proximité avec l’anthropologie – les écrits de Françoise Héritier, en particulier – et proposent une réflexion épistémologique sur les pratiques de l’histoire ; ils contribuent à la mise en valeur de nouvelles sources qui viennent compenser une certaine invisibilité des femmes dans les archives publiques, dans les statistiques entre autres : journaux intimes, correspondances, récits divers, livres de raison, etc., dénichés dans des fonds privés, des papiers de famille, offrent l’opportunité d’une relecture genrée de l’histoire et la redécouverte de l’histoire sous un jour nouveau (la figure de George Sand, étudiée par Michelle Perrot depuis une quinzaine d’années, s’en trouve ainsi redessinée).
Si elle adopte le terme de « genre » comme outil d’analyse, théorisé par l’Américaine Joan W. Scott en 1988, Michelle Perrot éprouve en revanche des réticences à parler de « recherches féministes », c’est-à-dire militantes, et souhaite dissocier engagement et travail scientifique. Elle n’en énonce pas moins sa dette à l’égard d’un mouvement qui lui permet de se trouver elle-même et de construire son cheminement de chercheuse.
Présidente des « Rendez-vous de l’histoire » de Blois (en 2014, « Les rebelles »), préfacière recherchée, collaboratrice au « Jeudi des Livres » du quotidien Libération ou encore productrice et animatrice de l’émission Les Lundis de l’histoire (France Culture) où elle consacre des émissions aux recherches sur les femmes, Michelle Perrot a à coeur de diffuser l’histoire des femmes et du genre vers un public non spécialiste, tout en encadrant de nombreuses thèses.
Michelle Perrot est chevalière de la Légion d’honneur, officière de l’ordre national du Mérite. En 2014, elle a reçu le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes.
• Oeuvres (sélection) : Les Ouvriers en grève, 1871-1890, Paris/La Haye, Mouton, 1974. – « Délinquance et système pénitentiaire en France au XIXe siècle », Annales. ésc, vol. 30, no 1, 1975, p. 67-91. – Avec G. Duby & P. Ariès (dir.), Histoire de la vie privée, t. IV : De la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Le Seuil, rééd. 1999, dir. par M. Perrot. – Avec G. Duby (dir.), Histoire des femmes en Occident, Paris, Plon, 1990-1991 (5 vol.). – Les Femmes ou les silences de l’histoire, Paris, Flammarion, 1998. – Les Ombres de l’histoire. Crime et châtiment au XIXe siècle, Paris, Flammarion, 2001. – Mon histoire des femmes, Paris, Le Seuil, 2006. – Histoire de chambres, Paris, Le Seuil, 2009. – Mélancolie ouvrière, Paris, Grasset, 2012. – Des femmes rebelles. Olympe de Gouges, Flora Tristan, George Sand, Tunis, Elylyzad poche, 2014.
• Bibliographie : DBMOF. – DUC. – Perrot M., « L’Air du temps », dans P. Nora (dir.), Essais d’ego-histoire, Paris, Gallimard, 1987, p. 241-292. – Rochefort F. & Thébaud F., « Entretien avec Michelle Perrot », Clio, n° 32, 2010, p. 217-231. – Maruani M. & Rogerat C., « L’histoire de Michelle Perrot », Travail, genre et sociétés, n° 8, 2002/2, p. 5-20.
Isabelle Lacoue-Labarthe
→ Algérie ; Catholicisme ; Communistes ; Éducation ; Littérature ; Médias ; Ouvrières ; Prison ; Recherche ; Union des femmes françaises.