Née le 1er juillet 1804 à Paris, décédée le 8 juin 1876 à Nohant-Vic (Indre). Lorsque George Sand naît Aurore Dupin, le « féminisme » n’existe pas encore. Elle a contribué à le faire advenir. Par sa vie, son engagement, son oeuvre. Elle a de qui tenir. Sa grand-mère, Marie-Aurore Dupin de Francueil, est adepte des Lumières ; son père, Maurice Dupin, adhère aux principes de 1789 qu’il a servis dans les guerres de la Révolution et de l’Empire. Sa mère est une fille du peuple de Paris, quasiment analphabète, mais douée d’une mémoire orale, chansonnière surtout, où George puisera. De la mésalliance que fut le mariage de ses parents, George Sand fait le socle proclamé de sa passion de l’égalité. Le précepteur de son père, Deschartres, aussi le sien, lui enseigne le latin et une équitation virile qui suppose le port du pantalon. S’habiller en homme, fumer le cigare, circuler librement sont ses premières (et durables) formes d’affranchissement.
Elle a « la rage d’écrire ». Mais pour l’assouvir, il lui faut opérer bien des ruptures. D’abord dans sa vie privée. Elle s’est mariée jeune avec un baron d’Empire, Casimir Dudevant, dont elle a deux enfants, Maurice et Solange. Elle cherche sans succès à le convertir à ses goûts, la lecture et la musique, rompt avec lui par incompatibilité et soif d’indépendance, vient à Paris, avec Jules Sandeau dont elle prend la moitié du nom pour le sien, publie Indiana (1832) et Lélia (1834), best sellers qui la rendent célèbre. La séparation de corps, plaidée par Michel de Bourges, un avocat berruyer qui fait son éducation politique, est prononcée en sa faveur, lui laissant Nohant, la propriété berrichonne de sa grand-mère, et la garde de ses enfants. Elle voyage, a de nombreux amants, peut-être quelques amantes, mais aussi des liaisons plus stables : Chopin (neuf ans), le graveur Alexandre Manceau (près de quinze ans). Ce qui ne l’empêche pas d’être une mère attentive à l’éducation et au bonheur de ses enfants, ayant, disait-elle, « la passion de la progéniture » et un vif souci de transmission. La conquête des droits civils pour les femmes – droit au divorce, réforme de « l’infâme Code Napoléon » – constitue à ses yeux le préalable indispensable à l’exercice des droits politiques. Citoyenneté suppose individualité. Sa réserve, à première vue surprenante, quant à l’octroi du suffrage « universel » aux femmes en 1848 s’explique par cette logique de graduation progressive.
Femme libre, George Sand entend s’assumer financièrement. Elle « pioche » par goût mais aussi pour gagner l’argent nécessaire à l’entretien de sa maisonnée et des nombreux amis qu’elle héberge à Nohant. Elle défend âprement ses droits d’auteur. Elle déteste les femmes « entretenues », qu’elles le soient par la galanterie ou par le mariage, trop souvent une « prostitution légale », et met sa fille Solange en garde contre les dangers de la séduction. Elle refuse le statut décrié de « femme auteur ». Elle veut être un écrivain, à l’égal des grands. D’où son choix d’un pseudonyme masculin, qui lui fut parfois reproché (ainsi par Flora Tristan), mais qui signe son ambition. Ambition raillée par la misogynie de Barbey d’Aurevilly ou de Baudelaire, mais soutenue par d’autres : Balzac, Hugo, Sainte-Beuve, Théophile Gautier ou Flaubert, le cher « troubadour », avec lequel elle échange une remarquable correspondance. Au café Magny, cénacle littéraire qui les réunit sous le Second Empire, elle est la seule femme.
Présente dans l’espace public par la création – le journalisme, la littérature, le théâtre où elle connaît de grands succès –, George Sand l’est aussi en politique, encore plus exclusive des femmes. Républicaine après 1830, elle devient socialiste dans les années 1840. Elle écrit des romans « socialistes » (Le Compagnon du Tour de France, Le Meunier d’Angibault, Horace). Elle soutient les « poètes ouvriers » et Pierre Leroux, le plus féministe des socialistes, dont elle admire la pensée. Elle adhère pleinement à la République de 1848, « démocratique et sociale » selon son coeur. Elle rédige des « Bulletins du gouvernement provisoire », lance un journal, La Cause du peuple, et publie de nombreux textes d’éducation populaire. Selon Tocqueville, elle est alors « une manière d’homme politique ». Les journées de juin 1848 et le coup d’État du 2 décembre 1851 mettent fin à son militantisme et la conduisent au retrait à Nohant, où elle reçoit beaucoup d’opposants au Second Empire, et à une réflexion plus distanciée sur les conditions de la démocratie. Hostile à la violence, elle accueille avec joie la proclamation de la IIIe République « sans effusion de sang » et réprouve la Commune, qui risque de l’abolir. Mais elle reste « rouge dans [son] coeur », jusqu’à ses derniers jours.
Son féminisme s’exprime dans son oeuvre, privée (son immense correspondance) et publique : autobiographie, essais, articles de journaux, romans, dont les personnages féminins – Indiana, Lélia, Valentine, Fadette, Nanon et surtout Consuelo, magnifique figure d’artiste bohémienne – incarnent des héroïnes positives, en lutte pour la liberté et l’autonomie, très stimulantes pour les lectrices, auxquelles elle s’adresse surtout, désireuse de créer un nouvel imaginaire des sexes, à l’égal d’un nouvel imaginaire social.
George Sand souhaite concilier égalité et identité. Elle veut le statut des hommes sans renoncer aux joies de la maternité et de l’intérieur. Elle fait de Nohant un lieu unique de sociabilité amicale et familiale et de création artistique qui nous reste aujourd’hui comme une exceptionnelle maison d’écrivaine. Entre virilité et féminité, elle refuse de choisir, tentée par l’indifférenciation – « Un homme et une femme, c’est si bien la même chose » – mais habitée par une vive conscience de la domination masculine qui prive les femmes d’éducation (« le plus grand crime des hommes envers elles »), d’autonomie et même de jugement. Elle déplore la soumission des femmes de son temps. Elle rêve d’inventer une autre manière d’être femme. « Vous qui êtes du troisième sexe », lui écrivait Flaubert. Par la force de son désir, de son travail et de sa volonté lucide, elle a ouvert aux femmes les chemins de la modernité.
• Oeuvres : Oeuvres complètes, éd. B. Didier, Paris, Honoré Champion, 2008 sq. – Correspondance, 1812-1876, éd. G. Lubin, Paris, Garnier, 25 vol., 1964-1991, rééd. 2013. – Oeuvres autobiographiques (dont Histoire de ma vie), éd. G. Lubin, Paris, Gallimard « Bibliothèque de la Pléiade », 2 vol., 1970-1971. – Politique et polémiques, 1843-1850, éd. M. Perrot, Paris, Imprimerie nationale, 1997 ; Belin, 2004. – George Sand critique (1833-1876), éd. C. Planté, Tusson, Éditions du Lérot, 2006.
• Bibliographie : Didier B., George Sand écrivain : un grand fleuve d’Amérique, Paris, puf, 1998. – duc. – Reid M., Signer Sand : l’oeuvre et le nom, Paris, Belin, 2004 ; George Sand, Paris, Gallimard, 2013.
Michelle Perrot
→ Amour ; Antiféminisme ; Femmes de 1848 ; Littérature ; Médias ; Séduction.