Qu’est-ce qu’une bibliothèque intelligente ? J’avoue ne m’être jamais posé la question avant de visiter la DTU (smart) library, la bibliothèque de l’université technologique du Danemark. Celle-ci a déjà fait l’objet d’une présentation en 2017 par une collègue grenobloise, Marie-Pierre Redon, à lire ici.
Nous y avons été chaleureusement accueillies par Lars Binau, responsable de l’innovation et des services sectoriels. Le bâtiment est vaste, plutôt bien conçu, récemment rénové. Il y aurait beaucoup à dire (et à admirer, je l’avoue) dans le fonctionnement et l’agencement de cette bibliothèque universitaire. Je vais centrer ce billet sur deux aspects, dont le second découle du premier : l’environnement de travail et les datas.
Offrir un environnement de travail optimal et modulable par les étudiantes elles-mêmes
La DTU applique à tous les niveaux et dans tous les espaces le principe selon lequel le confort de travail des étudiantes et enseignantes doit être optimal. Et tout semble pensé pour favoriser le bien-être et le conditions de travail : le public dispose de doubles écrans (abondamment utilisés lors de notre passage, très utile pour les futures informaticiennes, mais pas seulement), de sièges de travail haut de gamme – c’est-à-dire avec le même degré d’exigence que pour le siège d’un membre du personnel, mettant en pratique une “symétrie des attentions” entre personnels et utilisatrices de la bibliothèque. Ce principe a un coût, évidemment. Mais passer plusieurs heures par jour, parfois pendant plusieurs années, dans un même lieu, implique sans doute d’envisager autrement ce lieu que comme un lieu de passage [note pour moi-même : on pourrait imaginer la bibliothèque comme un continuum entre espaces de travail étudiant et espaces de travail des professionnelles, qu’elles soient bibliothécaires ou enseignantes-chercheuses – ce que la DTU n’est pas, ou plutôt pas encore tout à fait, même si elle s’en approche]. Contrepoint de cet état d’esprit : tous les mobiliers n’offrent pas le même confort, faute de budget suffisant, et certains espaces demeurent peu adaptés aux usages collectifs (le verre, s’il offre de la transparence, est un mauvais isolant phonique).
Tous les espaces de travail ne sont donc pas équipés de la sorte, mais c’est bien l’objectif. La bibliothèque est un espace de travail individuel et collectif où tout est orienté vers la qualité de vie, en termes de température, de qualité de l’air, de bruit… La nourriture, toute la nourriture est donc acceptée, sans restriction et à toute heure. Sandwichs, chips, salades, café (dans des gobelets ouverts), tupperware personnel… tout est possible, rien n’est interdit (et rien n’a l’air dégradé). A la DTU, l’équipe de ménage intervient chaque matin et ce service, qui est externalisé, comme en France dans la plupart des établissements publics du supérieurs, est visiblement bien assuré. Mais nous n’avons pas discuté avec le personnel de ménage pour connaître leurs conditions de travail, la pénibilité des tâches, etc.
Le confort passe certes par le mobilier, mais aussi, donc, par un environnement de travail de qualité. La bibliothèque est équipée de plusieurs centaines de capteurs qui analysent en temps réel les flux – de personnes, de chaleur, de lumière, de bruit, d’humidité, de CO2, de COV… En regard, il est possible à l’équipe, mais aussi, pour part, aux étudiantes, de moduler certains des paramètres des espaces, comme la lumière ou la température. L’idée est donc de proposer à la fois des espaces répondant aux attentes des étudiantes, mais aussi de leur permettre d’ajuster les conditions (de température, de luminosité) desdits espaces.
Un lieu social
La bibliothèque se veut avant tout un lieu social – lieu de rencontre, de réunions, avec un atrium accessible sous réservation et manifestement très attractif, si l’on en juge par la fréquentation et le calendrier des événements prévus, ou encore la présence de “box” réservés aux associations étudiantes – mais il m’a semblé que l’usage de ces box était largement détourné et que leur fonction première était sous-utilisée.
Le bruit n’est pas un problème : la bibliothèque se veut un lieu où, s’il est possible de travaille en silence, cet usage n’est ni majoritaire, ni prioritaire.
“Data is gold”
Les centaines de capteurs ont donc une fonction bien précise : connaître précisément les conditions climatiques dans les espaces et les moduler en fonction de la fréquentation – qui est elle aussi mesurée en temps réelle. Ce qui m’a fasciné dans le discours de Lars Binau, c’est que la DTU fait des datas non seulement un outil pour améliorer le confort des usagers et répondre à leurs attentes, mais également un formidable réservoir de données pour la recherche, en lien avec la dimension scientifico-technologique de l’université.
La bibliothèque est équipée de ModCam (un produit IBM) qui permet, outre de faire des comptages en temps réel, d’établir des cartes de fréquentation, entre zones “chaude” (fréquentées) et “froide” (moins fréquentées) du bâtiment. Le tout anonymement.
Par contre-coup, un énorme travail a été mené sur les locaux : au niveau de la lumière, il est possible de jouer dans de nombreux espaces sur l’intensité (du rouge, peu lumineux, au bleu), afin de favoriser telle ou telle ambiance de travail (moins d’intensité pour le travail en groupe, plus pour le travail individuel). La qualité phonique des matériaux utilisés est remarquable, à l’exception du dernier étage, vitré (le verre fait rebondir les sons, l’ambiance phonique est donc moins agréable).
Mais il y a plus. Toutes les données sont ouvertes à la communauté universitaire de la DTU. Etudiantes et chercheuses peuvent donc s’en emparer et mener leur propre recherche. La bibliothèque joue ainsi un rôle de laboratoire qui, par sa fréquentation, offre de multiples terrains de recherche à la communauté scientifique, en produisant et en mettant à disposition des données inédites – voir cette page. Si les étudiantes peuvent utiliser les données produites par les flux, elles peuvent également créer leur propres capteurs et les expérimenter dans les espaces de la bibliothèque. Des partenariats ont été noués avec des entreprises – notre hôte nous a donné l’exemple d’un fabriquant de meubles qui va tester du mobilier à la bibliothèque en y intégrant des capteurs.
“Build for books, but now for people”
A la DTU library, la documentation papier joue un rôle mineur. En sciences de l’ingénieur, en physique ou en biologie, les livres sont peu ou pas consultés (50000 prêts par an). lls sont relégués au sous-sol, dans des espaces peu valorisés dont il y a tout à penser qu’ils seront dans un futur proche réaménagés pour du travail en groupe, des studios d’enregistrement pour la réalisation de podcasts, de cours en ligne… Même s’il ne l’a pas dit comme cela, on sent bien, pour notre hôte, que “books don’t matter”.
La cotation est propre à la DTU – je n’ai pas creusé plus que ça, les étagères sont plutôt hautes, les livres tassés, l’éclairage un peu terne (ce qui est voulu, puisqu’il ne s’agit pas d’espaces de lecture) : il n’y a guère d’incitation à l’emprunt. Le système pédagogique danois est semblable à celui de la Finlande, de la GB ou de l’Allemagne : les cours reposent pour la plupart sur la lecture de courses books, qui sont indispensables.
Néanmoins, on ne trouve pas à la DTU, comme dans d’autres BU du Nord de l’Europe, des étagères spécifiques où ces livres sont en multi-exemplaire. Il faut les acheter, à la boutique jouxtant la bibliothèque, et qui communique d’ailleurs avec elle. De manière révélatrice, les text books sont également situés au sous-sol de la boutique, sur du mobilier de type entrepôt, et les étudiantes bénéficient d’une réduction de 10% sur l’achat. Là encore, on sent que si la boutique pouvait utiliser l’espace pour y mettre autre chose (t-shirts, mugs, etc.), elle ne s’en priverait pas.
Des services pensés pour être utilisés en autonomie
Les différents services sont pensés pour être utilisés de manière autonome par les étudiantes. Le studio d’enregistrement en est un bon exemple : il est accessible sur réservation, mais les utilisatrices peuvent enregistrer leurs paramètres sur la console (cela semblera peut-être évident aux audiovisualistes qui liront ce billet). En se connectant, elles retrouvent immédiatement leurs paramètres. Comme la plupart des bibliothèques universitaires du pays, elle est accessible 24/24, 7/7, sous condition.