Tous ceux qui ont déjà été en situation d’enseignement ou de formation vont sans doute lever les yeux au ciel devant cette évidence : pour mieux former, il faut se préoccuper des gens que l’on a en face de soi.Si on veut faire une bonne formation, il faut qu’elle réponde aux besoins du groupe, que nos utilisateurs puissent ensuite mettre à profit les compétences dans leur vie quotidienne, et qu’elle leur fasse envie : bref, qu’elle soit utile, utilisable et désirable. Commençons par l’utilité : répondre aux besoins, cela passe par forcément par une écoute attentive de nos usagers. Ecouter ses utilisateurs, les laisser s’exprimer, les regarder faire, c’est aussi un des principes de l’Ux design. Sans le faire “pour faire de l’Ux”, nous avons mis en place des activités et/ou des procédures qui permettent justement d’écouter ce que les étudiants ont à nous dire, avant, pendant, ou après la formation. En voici quelques exemples :
– la mise en place (pas encore généralisée, mais on y pense), en amont de la formation, de questionnaires (déclaratifs) et/ou de quiz pour connaître les acquis de nos étudiants et adapter la formation en fonction. Quels sont les problèmes que vous rencontrez ? Quelles sont les questions que vous vous posez ? Quelles sont vos attentes ? Les étudiants peuvent parfois avoir du mal à définir leurs besoins : dans ce cas, nous proposons des quiz avec des problèmes à résoudre, pour voir où ils en sont dans l’acquisition de leurs compétences informationnelles.
– la méthode appelée communément entre nous de “l’électrochoc documentaire” 😉 qui est un peu notre test d’utilisabilité à nous. Il s’agit de plonger, dès le départ et sans prévenir, les étudiants dans une mise en situation assez similaire à ce qu’ils peuvent vivre lors de leurs études (rechercher des références à partir d’une bibliographie, rechercher des informations sur un sujet donné pour un exposé, avec des exemples bien évidemment formulés de manière à leur donner un peu de fil à retordre) et de les regarder agir. Rien de mieux pour voir tout de suite les points d’achoppement, les difficultés rencontrées et donc identifier les besoins du groupe puis s’en servir comme point de départ à la construction d’une méthode collective : pour résoudre ces problèmes, quelles réponses peut-on apporter ? L’avantage est que les réponses viennent ici du groupe, et pas du formateur, qui se contente d’organiser les échanges et de compléter si nécessaire.
– un petit exercice que je pratique beaucoup à partir de la L3 / du master : commencer la séance par un recueil des pratiques. Je distribue à chacun des posts-its et leur demande d’inscrire sur chaque post-it les outils ou canaux d’information qu’ils utilisent ou ont déjà utilisé dans leur vie universitaire ou dans leur vie quotidienne (un outil par post-it). Ça va de Google aux réseaux sociaux en passant par les journaux, les profs… et ça donne une bonne idée de leurs acquis et de leurs présupposés. On classe tout ça en grands ensembles et ça permet de commencer à réfléchir sur le sujet à partir de ce qu’ils savent déjà, au lieu de les considérer comme une terre vierge à fertiliser de notre savoir descendant. Ca peut se décliner à l’infini selon le sujet / le contenu de la formation : on part des présupposés et des acquis du groupe pour travailler. Par exemple, lors d’une séance autour de Wikipedia, on fait un brainstorming par groupes pour recueillir tout ce qu’ils savent sur Wikipedia ; idem pour une séance sur le plagiat. Pour une séance sur le droit d’auteur, on leur propose de faire le point, avant de commencer, sur ce qu’ils pensent pouvoir faire avec leur propre oeuvre et avec l’oeuvre des autres.
– être utile et répondre aux besoins spécifiques des utilisateurs, cela passe aussi par un travail directement à partir des sujets de recherche des usagers. Avec les doctorants et internes de médecine générale, nous proposons des rendez-vous individuels et/ou des “ateliers thèse” où toute l’acquisition des compétences va se faire à partir d’un travail accompagné sur leur sujet de thèse, que nous essayons de récupérer soit en amont, soit en début de séance. Cela demande une certaine capacité d’improvisation et d’adaptation, mais la réponse aux besoins est alors on ne peut plus directe, et suscite donc adhésion et motivation. La forme d’atelier collectif permet en plus d’avoir un échange entre les doctorants sur les difficultés rencontrées sur leurs sujets propres, et la solution apportée est souvent collaborative. Nous reprenons la formule dans tous les cursus où les étudiants ont un sujet de recherche déjà défini avant la formation (en master notamment).
– après la formation, nous avons travaillé sur un questionnaire de satisfaction, qui vaut ce qu’il vaut mais nous permet de recueillir les opinions et le degré de satisfaction de chacun. Nous en avons pas mal tiré parti, en particulier des 2 premières questions, sur le moment choisi pour la formation dans l’année et dans le cursus. Par exemple, des remarques récurrentes sur le caractère trop tardif de la formation dans un cursus précis nous ont amené à revoir avec les enseignants responsables d’année la formule proposée, en la décomposant sur plusieurs années pour mieux répondre aux besoins (et peut-être y aura-t-il encore de nouvelles modifications l’an prochain !)
– savoir si les gens sont contents, c’est bien. Savoir si la séance a été efficace, et passer de l’analyse d’opinions à l’analyse de comportements, c’est mieux ! Nous avons donc mis en place, notamment en L1, des quiz d’évaluation finale qui nous permettent de vérifier que les notions ont été bien comprises. La plate-forme Socrative nous permet une vue à la fois fine et globale sur les réponses de chacun, et donne l’occasion de faire un retour sur les points qui seraient restés un peu obscurs. Les exercices de reformulation de pair à pair peuvent jouer le même rôle : on sait que l’on a compris quelque chose quand on est capable de l’expliquer à quelqu’un d’autre.
Nous envisageons, dans l’année à venir, de compléter ce que nous disent les groupes par une écoute individuelle de ce que peuvent dire les individus, de leurs aspirations, besoins, pratiques. Interviews individuelles, observations “ethnographiques” délibérées pourront utilement compléter les dispositifs déjà en place, mais cela reste à faire.
Voilà pour le côté utile : comment répond-t-on aux besoins de nos usagers par une écoute attentive de ce qu’ils sont et de ce qu’ils veulent ? Dans un prochain épisode, comment être utilisable et désirable grâce à l’active learning : tout un programme !