Le droit d’adopter, mais après ?

Entretien avec Didier PAILLAT : didier.paillat@courrier-ouest.com
Le Courrier de l’Ouest, 16 novembre 2012.

Professeur d’histoire contemporaine à l’Université d’Angers, Yves Denéchère a publié en 2011 : Des enfants venus de loin. Histoire de l’adoption internationale en France (Armand colin). Il siège en tant que personnalité qualifiée au Conseil supérieur de l’adoption (CSA). Le CSA a émis récemment un avis sur l’adoption par les couples homosexuels qui découle du projet de loi sur le mariage pour tous. « En dehors de tout jugement de valeur », Yves Denéchère prévient : « Obtenir le droit à l’adoption ne signifie pas qu’on pourra adopter, loin de là ».

Qu’est-ce que le CSA ?
Yves Denéchère : « C’est un organe consultatif qui donne son avis sur chaque projet de loi touchant l’adoption. Et donc sur le mariage homosexuel qui implique la possibilité d’adopter, le projet de loi est en cours d’examen. Créé en 1975, le CSA est composé de parlementaires, de représentants des conseils généraux, d’associations d’adoptés et d’adoptants, plus six personnalités qualifiées”.

Et quel est l’avis du CSA ?
« Sans entrer dans le détail, car ses travaux sont confidentiels, on peut dire qu’il a un avis réservé. Avis qui a été donné fin octobre au Conseil d’Etat. Un groupe de travail a été constitué afin de pouvoir faire des propositions dans le cadre du débat parlementaire”.

Et quel est votre point de vue ?
« Un point de vue d’historien et de chercheur. On est là devant un cas de concurrence entre les causes (au sens de combats) : d’un côté la cause des personnes homosexuelles ; de l’autre celle des enfants et des droits de l’enfant en particulier. Le malaise vient peut-être du fait qu’on est obligé de se positionner en faveur d’une cause au détriment de l’autre. C’est une question complexe. Des enfants élevés par des couples homosexuels, il y en a, mais la question posée ici, c’est de savoir si le droit doit sciemment prévoir l’adoption d’enfants par des couples homosexuels ».

Rappelez-nous les chiffres de l’adoption.
« En 2011, il y a eu 2 800 enfants adoptés (800 enfants français et 2 000 étrangers) pour 28 000 agréments. Donc une adoption pour dix agréments valides sans parler des demandes en cours. De plus, l’adoption internationale baisse constamment : en 2012 on va passer de 2 000 à 1 500 enfants ».

Prenons le cas des enfants français.
« L’apparentement d’un pupille de l’Etat est décidé par un conseil de famille, qui regroupe des représentants du Conseil général et d’associations familiales. Le conseil de famille va-t-il choisir un couple homosexuel plutôt qu’un couple hétérosexuel ? N’oublions pas que le conseil de famille a un impératif : choisir « dans l’intérêt de l’enfant », car l’adoption, c’est donner une famille à un enfant qui n’en a pas, et non l’inverse. Le droit à l’enfant n’existe pas ».

Que se passera-t-il, selon vous ?
« Imaginons que pendant plusieurs années un conseil de famille ne choisisse aucun couple homosexuel, il y aura dépôt de plainte pour discrimination. Les contentieux vont se multiplier. Mais qui pourra reprocher au conseil de famille de décider dans l’intérêt de l’enfant. Aujourd’hui, déjà, les conseils de famille attribuent très peu d’enfants aux célibataires ».

Et pour l’adoption internationale ?
« Les couples homosexuels auront le droit d’adopter en France, mais, à l’étranger, ce sont les pays sources qui décident. Or dans 70 pays du monde ; notamment en Afrique et en Asie, l’homosexualité est considérée comme un délit voire un crime. Il est clair que les autorités et les opinions publiques de ces pays, notamment la Chie n’accepteront pas que leurs enfants soient adoptés par des homosexuels étrangers ».

La loi pourrait donc se retourner contre ceux qui croient en bénéficier.
« En effet. Un couple demandera, et obtiendra l’agrément d’adoption, c’est-à-dire le droit d’adopter, mais il ne pourra guère trouver d’enfant à adopter. Sauf à présenter une demande en tant que célibataire et à condition de cacher son homosexualité. Mais cela pourrait se retourner contre la France car le pays concerné pourrait se fermer à l’adoption internationale. Il faut savoir que certains pays d’origine exigent un droit de suivi jusqu’aux 18 ans de l’enfant. Désormais, de nombreux pays refusent même les célibataires parce qu’ils craignent qu’ils ne cachent des projets d’adoption par des homosexuels ».

Qu’en est-il dans les pays où les couples homosexuels peuvent déjà se marier ?
« On a un exemple très probant, celui de la Belgique, où le mariage homosexuel est autorisé depuis 2003 et le droit d’adopter en vigueur depuis 2006. Aucun couple homosexuel belge n’a pu adopter un enfant étranger depuis cette date ».

Les homosexuels pourraient donc déchanter, selon vous ?
« Cela montre la différence entre le principe et la réalité. Ce sont les pays qui ont la main sur les berceaux qui décident. Sans parler des organismes français d’adoption (il y en a une quarantaine). Dans leur majorité, ils sont contre l’adoption par les couples homosexuels, ne serait-ce que parce qu’ils savent que ces dossiers seront refusés à l’étranger. Mais la difficulté de pouvoir exercer un droit est-elle une raison suffisante pour ne pas accorder ce droit ? »

Qu’en pensent les adoptés eux-mêmes ?
« Ils sont très réservés, si j’en juge par l’avis du Conseil national des adoptés qui vient de se créer ».