Pour des négociations collectives des licences nationales

<MàJ du 14 juin 2018>une version améliorée de ce texte a été publié dans le BBF – Contributions</MàJ>

Juste un propos liminaire : il n’est pas question ici de personnes, mais de manières et d’habitudes de travailler. Gardons cela en tête. Merci.

J’ai récemment exprimé quelques interrogations sur l’accord de principe entre Elsevier et Couperin.

Au-delà des maintenant quasi traditionnelles remarques sur la teneur d’une Licence Nationale qui, si elle était signée, nous lierait à nouveau pour quatre ans avec Elsevier au sein d’un cadre qu’on pressent une fois de plus discutable (euphémisme), j’ai évoqué dans ledit billet, vers la fin, l’idée de négociations de licences nationales qui pourrait être transparentes, ouvertes et collaboratives (soit tout le contraire de ce qui se passe actuellement), sans préciser plus avant l’idée. C’est le but des lignes qui suivent.

Rappelons d’abord rapidement le fonctionnement actuel des négociations Couperin : sur chaque ressource négociée (vous en trouverez la liste précise et détaillée ici), plusieurs collègues courageux/courageuses se chargent, pour le consortium, de la négociation avec le fournisseur. Les péripéties et le détail des avancées de ladite négociation sont en général peu ou pas diffusées, en tous cas pas publiquement, jusqu’à ce que l’on aboutisse un beau matin à une annonce indiquant que l’affaire est conclue, et sous quelles conditions. De temps en temps, en cas de négociations embourbées, quelques éléments plus précis sont diffusés, indiquant que ça coince ici ou là. Et puis c’est tout. En gros, on reste assez largement dans du Top ⇨ Down.

Cette pratique me semble problématique à plus d’un titre :

  • elle abandonne en frontal une toute petite poignée isolée de négociateurs/négociatrices supportant seule le poids de la discussion ;
  • la loi du silence pèse sur le contenu des négociations ;
  • la communauté (les bibliothèques, mais aussi les chercheurs et les établissements) n’est pas vraiment amenée à se prononcer publiquement pour ou contre tel ou tel point/condition et/ou ne discute pas le détail précis des points/conditions.

Face à ces pratiques que je trouve personnellement totalement dépassées, je ne peux m’empêcher de penser à des pratiques et outils de décision que l’on voit émerger, engageant une communauté dans des processus de discussions et de décisions réellement collaboratifs et partagés.

En l’occurrence, la démarche pourrait être la suivante :

  1. un groupe de collègues est chargé de la négociation (ce point ne change pas) ;
  2. une première mouture de texte décrivant telle ou telle licence est rédigée et devient la proposition initiale soumise à la communauté durant un temps limité via un outil en ligne ouvert publiquement ;
  3. des commentaires, amendements, suggestions, sont apportés à cette mouture et chaque commentaire, amendement, suggestion, peut faire l’objet d’un vote pour ou contre, entendre qu’on peut le/la pousser en avant ou le/la rétrograder, de manière à ce que les propositions les plus intéressantes pour la communauté émergent ;
  4. à la fin de la période, le groupe négociant fait la synthèse des propositions et en tire sa feuille de route pour un premier round de négociations avec le fournisseur ;
  5. de retour de cette première négociation avec le fournisseur, le groupe négociant dispose d’une nouvelle mouture à soumettre à la communauté ;
  6. GOTO 3.

jusqu’à épuisement des ajouts/modifications/amendements et/ou l’obtention d’un résultat de négociation qui convienne à l’ensemble de la communauté.

Évidemment, cette manière de travailler serait réservée aux licences nationales (par exemple, en mettant une barre à X millions au-delà de laquelle toute négociation doit passer par cette méthode).

Je vois plusieurs avantages à une telle méthode, qui, il me semble :

  • éviterait de passer à côté d’un loup caché dans un accord par le fournisseur (on repère mieux les loups à plusieurs) ;
  • permettrait de s’assurer au fil de l’eau de l’adhésion permanente de la communauté concernée par la négociation ;
  • conforterait la position de l’équipe négociante, qui pourrait s’appuyer sur une base arrière visible et multiple s’étant exprimée publiquement ;
  • embarquerait largement ladite base en la responsabilisant ;
  • serait conforme aux exigences de transparence actuelle ;
  • <update du 05 mai 2019> serait de nature à clarifier enfin les positions des uns et des autres</update du 05 mai 2019> ;
  • permettrait de sortir des négociations à la papa, où le fournisseur nous joue le couplet du ne parlez surtout pas des conditions hyper privilégiées que je suis en train de vous consentir alors que dans les faits, il vous enfume comme jamais (B. A. BA du commercial, n’importe quel vendeur de voiture vous le confirmera, c’est le chapitre n°1 du Manuel du parfait petit arnaqueur).

Et je réponds de suite aux arguments du type c’est trop lourd à mettre en place, nous n’aurons jamais le temps de le faire en vous renvoyant aux chiffres de la consultation qui a précédé l’écriture de la Loi pour une République Numérique (spoiler : du 26 septembre 2015 au 18 octobre 2015, 8490 contributions 147549 votes, 21409 participants — oui, c’est pas mal en si peu de temps sur un sujet aussi aride).

Franchement, je pense qu’un tel changement de nos pratiques n’est ni un problème d’outil (les outils du type “consultation collaborative” ne manquent pas), ni un problème de temps (cf. les chiffres ci-dessus, obtenus en moins d’un mois) : c’est juste un choix politique sur la méthode employée pour négocier des licences à plusieurs dizaines de millions d’euros d’argent public, négociations historiquement menées en utilisant la méthode dite de sous le manteau et qu’il est certainement temps de dépoussiérer.

Comme toujours, les commentaires sont ouverts.

 

Un accord de mauvais principes

Juste un propos liminaire : il n’est pas question ici de personnes, mais de manières et d’habitudes de travailler. Gardons cela en tête. Merci.

Même je suis pris ailleurs depuis quelques mois, sur des thématiques très numériques et un peu éloignées des bibliothèques stricto sensu, je suis notre grande aventure collective de près et j’ai tout de même avalé ma tisane de travers en découvrant le billet de The Sound of Science qui leake l’accord de principe que Couperin vient de faire parvenir à Elsevier concernant une possible prochaine Licence Nationale.

Ce document, s’il ne détaille pas précisément ce que pourrait être un accord final, esquisse quand même certaines grandes lignes interrogeant largement, à la fois sur le fond (ce qui risque de se mettre en place) et sur la forme (la manière dont sont menées ces négociations, et leur contexte).

Pour le fond, je suis assez étonné d’un certain nombre de points :

  • la collecte des MAA (Manuscrit Auteur Accepté) semble relever de la constitution, par Elsevier, d’un stock de guerre bankable, en jouant pour les STEM sur un délai supérieur à ce qu’autorise la Loi pour République Numérique (c’était bien la peine de se bagarrer à l’époque). On assisterait ici à un détournement des logiques d’Open Access en créant une sorte de bassin de rétention de 6 mois, donc, qui participe à élargir le potentiel de commercialisation (6 mois, cela semble court, mais dans nombre de disciplines STEM, la fraîcheur de l’information scientifique compte beaucoup et donc, le lecteur est/sera prêt à payer plutôt que d’attendre ces 6 mois) ;
  • l’idée de dark archive (hum hum, ce nom) laisse rêveur : les fichiers MAA captés par Elsevier “pourront être ouverts (…) 24 mois après la date de publication” – encore un délai de rétention, encore du bankable, et un flou dans l’expression qui n’augure rien de bon ;
  • par ailleurs, la promesse de versement des MAA depuis la dark archive dans HAL ressemble fort à un piège un peu retors (quelle surprise) : dès lors que l’auteur d’un article MAA intégrera l’idée que Elsevier se chargera (un jour) d’en assurer le versement vers HAL, il y a fort à parier que la pente humaine (entendre, notre fainéantise à tous) fera que le chercheur, à moins d’être un militant chevelu, ne se préoccupera plus du tout du devenir Open Access de son article, laissant à Elsevier le soin de s’occuper de tout (et verrouillant de fait les délais évoqués ci-dessus tout en abandonnant aussi in fine à Elsevier son papier) ;
  • le coup de l’accès en streaming est remarquable : outre qu’il contourne HAL (le fichier n’est plus physiquement sur les serveurs HAL, mais sur les serveurs d’Elsevier qui pourra en contrôler l’accès selon son bon vouloir), on peut imaginer les trackers qui seront collés dans/sous cet accès, et collecteront évidemment des données certainement très intéressantes (entendre, bankables également) pour Elsevier (qui lit quoi, qui travaille sur quel sujet, etc) ;
  • <ajout du 03 mai 2019> je remarque seulement maintenant la partie 6.9, traitant du TDM (Text and Data Mining, en gros, l’analyse automatique et massive des contenus) qui nous sort quand même une sorte de barrière mobile (par versement ISETX interposé) de, à la louche,… DIX ans. Je n’ai qu’un mot ici. LOL. </ajout du 03 mai 2019>

Pour la forme :

  • on dirait que s’esquisse en filigrane une stratégie de contournement de HAL qui ne peut qu’étonner, et qui m’interroge d’autant plus lorsque je confronte cet accord de principe avec la démarche de Couperin vers l’Open Access. Dit autrement, j’ai beaucoup de mal à comprendre comment le même consortium peut avoir un discours Pro-AO d’une part, et se préparer à signer d’autre part un tel accord. Personnellement, si j’étais encore dans le GTAO (ou dans les coulisses de HAL, d’ailleurs), je serais genre… fumasse ;
  • j’avoue être une fois de plus (cf. ce qui c’était déjà passé autour de la dernière licence nationale Elsevier) très étonné de l’omerta du voile pudique entourant ces négociations, dont la logique assez délétère transparaît dans le point 8. de l’accord de principe. En tant que professionnel des bibliothèques, dont la mission centrale est à mes yeux de favoriser la diffusion de l’information, de toute l’information, toujours, partout, je suis très choqué de voir un consortium censé représenter les bibliothèques travailler dans un tel secret, allant jusqu’à s’engager auprès d’un fournisseur à ne communiquer publiquement la teneur d’un accord national qu’au plus près de la signature de l’accord final (comprendre, on ne donnera les détails de l’accord que quand il sera trop tard pour le discuter). J’avais déjà évoqué cette question du secret lors de la signature de la dernière licence nationale Elsevier ici, et  et, plus de quatre années après, j’ai le sentiment que les choses n’évoluent pas du tout. Cela dit, à s’y pencher, c’est logique. On ne change pas des méthodes qui ne profitent qu’à Elsevier.

D’une manière générale, je ne comprends pas bien pourquoi ces négociations de Licence Nationale ne sont pas réalisées de manière publique et ouverte. Sauf erreur de ma part, rares sont les informations qui filtrent en cours de négociation, et les bibliothèques du consortium n’apprennent que très tard le chemin que prennent des négociations à pourtant très fort enjeu (la LN Elsevier en est ici un parfait exemple).

Or il serait assez facile (et constructif) d’entrer enfin pour ces importantes négociations dans des logiques de transparences collaboratives, via des plateformes permettant de discuter les termes des accords en cours d’écriture, et de recueillir ainsi des avis et positions multiples afin de s’assurer collectivement que l’on va dans le bon sens (la manière dont la rédaction de la Loi pour une République Numérique a démarré, sur une plateforme collaborative, est un bon modèle de la démarche à laquelle je pense).

Enfin, pour clore, je me pose une autre question. Dans un environnement où, sans doute, nombre de chercheurs, en particulier dans les domaines STEM, sont de plus en plus avertis des problématiques de l’Open Access (et des marchés de dupes que nous imposent proposent les grands éditeurs), quelle image donnons-nous, nous, bibliothécaires, en nous préparant à signer de tels petits arrangements ? Quelle sera notre légitimité si nous portons à un niveau national de tels accords, lorsque nous irons par ailleurs essayer ensuite de convaincre nos chercheurs d’avoir une conduite vertueuse en favorisant l’Open Access ?

Ici, au-delà de “quelques” centaines de millions d’euros (la dernière Licence Nationale Elsevier ayant pris la forme d’une douloureuse d’environ 180 millions d’euros sur 4 ans, je doute que l’éventuelle prochaine nous coûte moins), j’ai le sentiment que se joue aussi un pacte de confiance que je sens mis à mal, je ne sais pourquoi.

MàJ du 01 mai : je précise ici le point “négocions les LN de façon collective, transparente et ouverte” évoqué plus haut.

La petite leçon de transparence des Amériques

Je ne sais pas si vous vous souvenez de ça et de tout le pataquès qui avait suivi avec, entre autres, les arguments plus que vaseux du consortium, dans divers mails, sur la nécessité absolue de conserver le plus grand secret sur les chiffres et sommes en jeu, au risque de voir capoter à l’époque toute négociation avec Elsevier (la sacro-sainte loi du silence étant par ailleurs la même sur toutes les négociations).

Manifestement, d’autres pays,  pas forcément mieux ou plus mal servis, négociant pourtant avec les mêmes requins, sont beaucoup plus transparents, comme me l’apprenait tantôt Jean-Claude Guédon, que je salue amicalement au passage.

Ainsi du Chili dont les rapports mis en ligne donnent tous les chiffres nécessaires. Ou ici, de l’Argentine (et je vous mets aussi dans le colis plusieurs documents officiels publics concernant l’Argentine et les marchés de documentation électronique signés là-bas).

Je ne vous fais pas à nouveau le couplet sur la transparence qui est (c’est une pure évidence) l’une de nos rares armes dans ce qui est une guerre ; et je ne redis pas que je reste persuadé que nous aurions beaucoup à gagner à l’être, transparents.

Quoi qu’il en soit, cette position de nos amis d’Amérique montre assez, en creux, à quel point l’opacité dans laquelle nous avançons de ce côté de l’Atlantique n’a strictement aucun fondement sinon celui d’une vieille habitude ridicule (j’allais écrire soumission).

Vivement l’OpenData…

Ne le dis à personne

Avant que vous filiez sur les plages, je reviens rapidement sur cette question de la confidentialité que Couperin demande à ses membres, confidentialité qui, vous l’aurez compris, me travaille. En fait, je ne la comprends pas.

Sur la période des négociations préalables à la signature des contrats, je ne vois pas pourquoi les éléments de la négociation ne doivent pas être diffusés. La confidentialité semble logique dans le cadre d’un marché concurrentiel (au hasard, une réinformatisation qui met en concurrence plusieurs prestataires, cadre dans lequel on peut supposer que le silence sur les données de la négociation nous sert).

Mais en l’occurrence, dans le cas des négociations avec les grands éditeurs scientifiques, il n’y a pas de concurrence : personne d’autre que Elsevier ne diffuse Science Direct, Elsevier (mais cela vaut pour tous les autres éditeurs scientifiques du genre, ils sont une poignée à avoir les mêmes pratiques) n’a tout simplement pas de concurrent sur ce produit spécifique et donc, diffuser les coûts en cours de négociation ne mettrait certainement pas l’éditeur en position de faiblesse par rapport à ses concurrents sur le même marché spécifique : il n’y en a pas, de concurrent.

L’autre argument qu’on nous oppose souvent concernant cette confidentialité est que ce secret nous sert par rapport aux autres pays : en ne disant rien des coûts que nous payons ou allons payer, nous serions en mesure de négocier des conditions beaucoup plus avantageuses que les collègues des autres consortia.

Hum. Cette position me gêne sur plusieurs points mais tout particulièrement, sur ce qu’elle sous-entend : notre adversaire ici, si je suis bien, ce ne serait pas l’éditeur, mais par exemple, nos collègues européens. L’enjeu ne serait pas de négocier au plus bas avec Elsevier, mais bien de négocier plus bas que nos amis belges ou anglais. Curieuse attitude, vous ne trouvez pas ? Est-ce que justement, nous n’aurions pas tous intérêt à savoir précisément ce que nos camarades paient pour pouvoir comparer les choses et négocier tous à la baisse ?

Enfin évidemment, pour terminer, je ne comprends pas la confidentialité après que les contrats aient été signés : encore une fois, on parle d’argent public, de son usage et de sommes très importantes (la licence nationale Couperin en cours de discussion, c’est quand même XXX millions d’euros sur cinq années).

Dans un documentaire que j’ai vu récemment (je reviendrai dessus plus tard en vous disant tout le bien que j’en ai pensé), une des personnes interviewées dit cette phrase très intéressante : “Les secrets servent toujours ceux qui ont déjà le pouvoir”.

En l’occurrence, par un mécanisme assez pervers, nous nous sommes laissés imposer par les éditeurs qui nous plument une clause qui nous dessert à l’évidence, et nous avons oublié un élément fondamental des marchés : sans acheteur, il n’y a pas de vente.

En l’espèce, nous ne voyons même plus que dans les discussions qui se passent entre les éditeurs et nous, la personne en position de force, c’est nous, et c’est d’autant plus vrai quand, dans un monde numérique, l’éditeur n’a plus du tout le monopole de la diffusion et que des alternatives tout à fait fonctionnelles, entendez, les Archives Ouvertes, nous permettent de sortir la tête du collet qui nous étrangle de plus en plus.

Je reste persuadé qu’un des premiers pas pour nous tirer du piège où nous sommes serait de cesser de respecter cette clause de confidentialité, de la dénoncer pour les contrats passés, et de refuser absolument de signer tout nouveau contrat la comportant.

Pour cela, le premier pas que nous pourrions faire (comme les consortia amis et voisins) serait de dégager de notre charte de l’adhérent l’item traitant de la confidentialité, et de poser cela face aux éditeurs : c’est à prendre ou à laisser.

Oui, c’est un rapport de forces. Mais la force est de notre côté.

Voilà, tout cela vous donnera peut-être matière à réfléchir au lieu de vous saouler à la paillote la plus proche.

Passez un bel été et prenez soin de vous..

Chuuuttt

 (ou comment je n’ai pas donné d’informations sur Elsevier)

En lisant ce billet, et en voyant les graphiques qu’on peut y trouver, je me suis demandé à quoi pouvait bien ressembler la répartition française des coûts VS effectifs pour les ressources Elsevier.

Je suis donc parti des chiffres 2013 pour la France. J’ai utilisé un fichier que tous les correspondants Couperin ont reçu dans leurs mails il y a quelques mois, fichier qui doit servir à calculer les coûts de la licence nationale (toujours) en cours de négociation avec Elsevier et listant donc pour vérification les clients académiques français, les effectifs qu’ils déclarent et… ce qu’ils paient.

Évidemment, j’ai eu tout de suite un problème de conscience majeur : la doctrine Couperin repose sur la confidentialité (cela m’a été assez répété tout récemment, souvenez-vous…) et c’est écrit ici, onglet Charte de l’adhérent, puis Engagement des membres. Évidemment, cette charte n’a pas grande valeur juridique et le seul risque que l’on peut finalement courir est de se voir exclu de Couperin (oh mon Dieu, ça fait peur, n’est-ce pas ?…)

Mais je me suis dit que j’allais jouer ce jeu idiot de la confidentialité pour vous montrer en creux à quel point tout ça n’a pas de sens.

Donc, voici la répartition 2013 des coûts/effectifs Elsevier pour la France. J’ai enlevé les chiffres, les échelles, les étiquettes, bref, j’ai anonymisé le truc.

Elsevier France

Trois précisions :

  • J’ai enlevé les 3 structures les plus “hautes” soit du point de vue de la dime qu’elles paient, soit du point de vue de leur effectif déclaré, parce qu’elles étaient si hautes que cela écrasait le graphique ;
  • Un certain nombre de structures sont sur les axes, tout simplement parce que leurs données (coût ou effectif) n’étaient pas présentes dans le fichier diffusé, ce qui ne lasse pas de m’étonner (par quel mystère Couperin n’a-t-il pas ces chiffres ?) d’autant qu’il s’agit de grosses structures type SCD, pas de CDI de campagne ;
  • Les totaux (je rajoute les 3 structures enlevées auparavant) sont les suivants : XXX XXX pour les effectifs et XX XXX XXX pour les coûts ;

Voilà. Vous n’en savez pas plus, et vous n’en saurez pas plus. Si vous n’avez pas le fichier Couperin, vous ne saurez pas ce que paie votre structure, vous ne saurez pas comment est dépensé l’argent public, votre argent.

Par contre, ce que vous saurez parce que je vous le dis, c’est que cet argent alimente l’extraordinaire rentabilité de la société Elsevier, qui vous remercie du fond du coeur.

Et puis, en creux, vous saurez aussi maintenant que je n’ai pas le droit de vous communiquer certaines informations ou de vous transmettre certains documents, parce qu’un consortium formé uniquement de structures publiques et fonctionnant uniquement grâce à des agents publics dont la très grande majorité est composée de bibliothécaires, accepte une “confidentialité” particulièrement malsaine qu’une entreprise privée en position de quasi-monopole lui impose (cherchez à qui profite le crime du silence et cette confidentialité… Mais si, suivez mon regard…).

En résumé, des bibliothécaires font devant vos yeux ébahis le choix volontaire de ne pas diffuser l’information qui vous concerne directement. Sacré paradoxe, vous ne trouvez pas ?

La fausse note Couperin

Suite à l’incident ici décrit, aux débats et échos autour,
un billet un peu long et en vrac pour clarifier deux trois choses.
Les choses vraiment importantes sont à la fin, vous pouvez sauter le reste.

Des choses qui vont de soi mais ça va mieux en le disant

Je salue ici le travail des collègues négociateurs Couperin, leurs efforts, le temps et l’énergie qu’ils consacrent à la communauté. Mes critiques et remarques, j’espère qu’on l’aura compris, ne portent jamais sur des personnes, mais interrogent des fonctionnements et des structures, rien d’autre.

Par ailleurs, le principe de Licence Nationale est évidemment une avancée. Même si je pense que la LN participe du piège dans lequel nous sommes toujours pris, piège d’un système d’édition académique devenu fou et dont il faut sortir par les Archives Ouvertes, la LN a des avantages certains en attendant mieux. Cela soulage juste un peu la pression du piège à loup sur la jambe, mais c’est déjà ça tout en n’étant pas une solution.

De la responsabilité de la fuite

Depuis la diffusion du communiqué qu’il ne faut pas lire, et son retrait, est apparu un discours Couperinesque dans lequel j’apparais comme une espèce de traître à la cause qui a diffusé sciemment des documents confidentiels. La dernière manifestation de ce discours a eu lieu ce jeudi 27 février sur les listes Achats et Direction de Couperin : suite à plusieurs demandes que soit diffusée la synthèse de l’enquête préliminaire à la négociation Elsevier, un message officiel a indiqué que cette synthèse ne serait pas diffusée en raison des fuites récentes, fuites qui mettraient à mal la négociation en cours et qui, je cite puisque c’est pour le coup un message public vu sa diffusion, posent “un grave problème de solidarité au sein du consortium, de respect du travail des négociateurs, de respect des intérêts des établissements membres, tout en faisant le jeu des éditeurs”. Rien que ça.

Dit autrement, sans que je sois jamais personnellement nommé, Couperin a très officiellement fait comprendre à une bonne partie de la profession que je suis un félon, Dan le Maudit (c’est me faire grand honneur).

Je dois donc préciser deux choses, et les préciser publiquement puisque sans doute, ces précisions seraient modérées si je venais à répondre sur lesdites listes (oui, les listes de diffusion Couperin sont soigneusement modérées et fonctionnent globalement en top-down, belle illustration de la logique en place) :

  • Je n’ai jamais diffusé aucun document Couperin sur lequel la mention de confidentialité était inscrite. Je trouve cette pratique de confidentialité absurde, cela me démange à chaque fois de balancer en ligne le document ainsi rangé sous le sceau du secret mais, comme je suis un garçon doigt sur la couture du pantalon, fonctionnaire, respectueux du devoir de réserve, etc, je ne diffuse pas ce qui est classé confidentiel et j’ai retiré dans l’heure le document en question quand on m’a fort opportunément (et sans doute sans fondement juridique) rappelé à mon devoir de réserve ;
  • Le document que j’ai diffusé l’avait été (avant de me parvenir) via des listes mails très larges ; et surtout, il ne portait pas de mention de confidentialité. Donc, fort logiquement, si fuite il y a eu, elle a eu lieu au sein même de Couperin, et s’acharner à vouloir me faire porter le chapeau est une belle manière d’éviter de s’interroger sur les dysfonctionnements manifestes qui ont permis que ce document arrive dans mes blanches mains.

De ce que ça dit de Couperin

L’idée d’un consortium qui négocie pour l’ensemble des BUs est évidemment une bonne idée. Cependant, depuis le début de cette histoire, je constate des réactions que je trouve inquiétante. Si l’on relie le mail ci-dessus évoqué et qui ressemble fort à un acte d’accusation auquel on ne peut pas répondre sauf à prendre des voies de traverse, à des logiques du type “si tu réfléchis et pose des questions gênantes, alors tu es un ennemi”, puis à des pratiques de non-diffusion d’enquêtes préalables aux négociations (oui, il y a eu une enquête préalable à la négociation Couperin, mais les résultats n’en ont jamais été diffusés, on se demande pourquoi – ah si, j’oubliais, j’ai brisé la confiance…), on voit s’esquisser le tableau d’une institution en pleine dérive, qui a oublié pour qui et pour quoi elle existe, et avec qui elle fonctionne (pour mémoire, le consortium Couperin est issu du monde des bibliothèques, et fonctionne en très grande partie grâce aux personnels des bibliothèques : Couperin n’est donc pas une sorte d’entité autonome qui ne doit rendre des comptes qu’aux établissements, comme on me l’a rappelé récemment avec un brin de condescendance, mais bel et bien, un outil qui appartient aux bibliothèques et vit uniquement par elles).

Bref. Pour ce qui me concerne, j’ai comme l’impression d’un structure qui ne supporte plus la contradiction. Et cela, c’est inquiétant, et plus encore dans notre milieu de personnes censément ouvertes à la discussion et au débat.

En fait, ce bruit autour de ma soi-disant forfaiture a eu un mérite, celui de déclencher des débats qui apparemment, avaient besoin d’exister et/ou n’avaient même pas eu lieu. Mais cela crée une sorte d’écran de fumée, et l’on oublie les vraies questions. Je les rappelle, pour mémoire, maintenant : elles attendent toujours des réponses, et elles sont adressées au consortium et à ses représentants. Sans m’avancer beaucoup, il me semble que des réponses précises et publiques seraient appréciées d’un sacré paquet de plébéiens.

Des choses vraiment importantes

  • Quid du piège de la clause du data-mining ? Quelle est la position officielle de Couperin sur le sujet ? Les risques de cette clause ont-ils été mesurés et si oui, par quel(le)s spécialistes de la question ? Quelle est la stratégie du Consortium sur cette problématique, et pour sortir de ce piège dans le piège ?
  • Quid des questions d’argent ? Les clients historiques de Elsevier ont déjà été ponctionnés sur leur budget, sans que leur avis individuel soit demandé, des sommes équivalentes à leur dépense de l’an passé. Mais le nombre de clients, par le biais de la LN, a largement augmenté. Or le coût prévisible de la LN sur les 5 ans sera sans doute proche du coût passé (ces deux derniers points sont une avancée, je le dis). Je suis mauvais en maths, mais je comprends que dans l’état actuel des choses, les clients historiques ont payés pour les nouveaux. Comment cela va-t-il s’équilibrer ? Quelles sont les modèles de répartition ?
  • Les établissements qui bénéficieront de l’élargissement des arrosés ont-ils fait part de leur volonté expresse d’entrer dans le périmètre de la LN ? Pourront-ils en sortir ? Si oui, quand et comment ?
  • Est-ce que quelqu’un se rend compte qu’en élargissant le périmètre qui va être arrosé, Elsevier crée une demande (la fonction crée le besoin) qui va rendre plus difficile encore toute sortie ultérieure du piège ?
  • Comment cette signature avec Elsevier est-elle articulée, au niveau de la stratégie Couperin, avec les travaux vers les Archives Ouvertes ? Quelle est cette stratégie après les cinq années que va durer le contrat en passe d’être signé ?

Voilà. Les commentaires sont évidemment ouverts, en particulier aux précisions du consortium. Pour ce qui me concerne, je ne modère pas les critiques, interrogations, remises en cause, elles participent de la réflexion commune.

 

Le communiqué qu’il ne faut pas lire…

D’une petite péripétie personnelle dans la vaste marche de l’Univers,
et de ce que ça dit des bibliothèques

Or donc, depuis plusieurs mois, la communauté des Bu guettait avec impatience les résultats de la négociation que Couperin mène avec Elsevier — le précédent contrat se terminant au 01 janvier 2014, Couperin discutait (avec ou pour le Ministère, la valetaille ne sait plus) le prochain contrat, vaste enjeu s’il en est. Si on rajoute qu’en plus, les soutiers que nous sommes avaient fort peu d’informations sur la négociation en cours (périmètre, conditions, coûts), on comprendra tout de suite à quel point quelques précisions sur la chose étaient attendues.

Ce jeudi 06 février, sur les charbons ardents, donc, j’apprenais un peu par hasard qu’un communiqué Couperin donnant enfin des détails avait été diffusé par la CPU sur les listes de présidents d’université (je ne reviens pas sur mon étonnement du fait que les BUs ne soient pas prévenues en première intention, Couperin étant tout de même une émanation des BUs, mais bon…)

Après avoir récupéré ladite pièce (l’échange s’est fait de nuit sur un pont noyé par la brume, à l’aide de force mallettes de billets usagés), constatant qu’elle donnait de très intéressants éléments sur la négociation (1), et que la plupart de mes contacts professionnels tout aussi intéressés que moi n’avaient pas eu la possibilité de la consulter, je décidais de la mettre en ligne avec d’autant plus de sérénité que ce document (déjà lâché dans la nature, donc) ne comportait aucune mention de confidentialité (Couperin a l’habitude assez amusante de diffuser via de larges listes mails des documents portant des mentions de confidentialité — je vous laisse apprécier la logique, je vais y revenir).

C’est le lendemain que les choses se sont gâtées quand dans la matinée, un appel téléphonique venu des plus hautes sphères Couperinesque a dérangé ma hiérarchie en pleine réunion, et pendant un bon moment, pour une conversation sans doute intéressante mais dont je n’ai pas le détail (vous demanderez à la NSA). En tous les cas, à l’issue de cet appel téléphonique, il m’a été demandé très officiellement, et avec rappel à mon devoir de réserve, de retirer ledit document du site où je le proposais au téléchargement, ce que j’ai fait dans l’heure, le petit doigt sur la couture du pantalon (je suis bête et discipliné, deux qualités fort appréciées de nos jours). Dans le même temps, Couperin diffusait le même communiqué (ou quasi, à quelques détails près) aux Dir BUs et listes de bibs acquéreurs en doc élec. Le même ou presque : un petit paragraphe à la ridicule encre rouge très instit vieille école demandait aux destinataires de garder ledit document confidentiel, au motif que la négociation n’était pas totalement terminée…

Quel est le problème ? Il me semble qu’il y en a en fait plusieurs.

Je passe rapidement sur l’absurdité totale qu’il y a à demander la confidentialité (en ont-ils le droit, d’ailleurs) sur un document largement ventilé vers les présidents d’Université, qui l’ont certainement mailé derechef à leurs VP ; largement ventilé vers les Dirbus, dont la plupart l’ont de suite forwardé vers leurs équipes ; largement ventilé vers les responsables d’acquisition de doc élec (je vous fais un prix, je pense que tout ce petit monde représente au bas mot 400 personnes, et je suis gentil, bonjour le secret).

Ce qui me pose vraiment problème est ailleurs.

Pour commencer, cette confidentialité est choquante parce qu’elle prive les citoyens d’information sur les conditions (tarifs mais pas que, cf. la note ci-dessous) auxquelles nous nous livrons pieds et souris liés à un éditeur privé qui a depuis longtemps perdu toute visée académique en devenant une entreprise cotée en bourse, dégageant de très confortables bénéfices en pillant l’argent public, et qui a tout intérêt à ce que ces choses restent confidentielles jusqu’à ce que le piège se referme pour cinq nouvelles années fermes (moins les chercheurs en savent, moins ils se disent que peut-être, les archives ouvertes seraient par exemple un moyen de cesser d’être tondus, financièrement et intellectuellement, par ce genre d’éditeurs). En l’espèce ici, la question de “à qui profite le crime” (de la confidentialité) me semble se poser, et je gage que vous trouverez la réponse seuls.

Et puis, cette méthode (l’ordre de retrait arrivé des hautes sphères qui vous tombe dessus par le biais de la hiérarchie, assorti du bon vieux coup du devoir de réserve) me dérange profondément, en tant que professionnel. Parce que pour moi, mon métier se résume en deux règles très simples dont j’imaginais qu’elles étaient celles de tout bibliothécaire :

  1. diffuser au maximum et sur tout support existant toute l’information disponible sous réserve qu’elle ne nuise pas à la dignité humaine ;
  2. organiser cette information pour que tous les citoyens puissent s’y retrouver (à tous les sens du terme) ;

En me demandant de retirer ce communiqué (sacré paradoxe, un communiqué que personne ne doit voir…), c’est ma première règle professionnelle qui a été mise à mal. De l’intérieur. Et ça, c’est vraiment une grosse, très grosse couleuvre que j’ai en travers de la gorge.

En supprimant ce document, en l’enlevant à la vue de mes collègues et autres citoyens lambda, au garde-à-vous devant mon écran, j’ai repensé à une phrase que répétait souvent mon père : “Réfléchir, c’est déjà désobéir”.

Je vous laisse réfléchir à tout ce qui précède. Bonjour chez vous.

(1) ce très intéressant papier apporte d’autres éléments de réflexion sur le piège Elsevier, j’en conseille fortement la lecture si vous êtes encore là (d’autant que le communiqué qu’il ne faut pas lire est caché dedans mais n’allez surtout pas le lire).

Diverses considérations en vrac qui aboutiront à un billet long et bordélique mais pas si absurde que ça (ou pas)

Le titre étant assez clair sur la manière dont ce billet va être structuré, je commence de suite. Petite précision sur cette affaire : à cette heure, dimanche 27 janvier 2013, 10h56, silence assourdissant de la Bnf malgré les nombreuses réactions un peu partout y compris (ce qui me réjouit un peu) de la part de la plupart des assos professionnelles qui semblent enfin se réveiller d’un long coma intellectuel. Cela dit, la question du bisounoursfight reste entièrement posée parce qu’elle dépasse ce simple épisode.

Du bisounoursfight

#bisounoursfight est un hashtag apparu suite à ce billet appelant à la désobéissance bibliothéconomique au cas où. En résumé, le bisounoursfight est à mes yeux la réponse la plus ultime et cinglante que nous pourrions apporter aux vautours qui sont en train de privatiser un peu partout (on le verra plus bas) les biens communs, et cette réponse consisterait à récupérer et mettre en ligne librement et gratuitement les contenus privatisés dont il est question ici.

Techniquement, nous (les bibliothécaires) n’aurions pas vraiment de difficultés à réaliser cela : nous sommes au bon endroit pour ouvrir certaines vannes/portes dérobées ou utiliser certains outils proches de votre aspirateur domestique afin de récupérer tout ou partie des contenus (quand ils ne sont pas déjà dans nos locaux, sur des disques durs, du fait de l’achat d’archives) que les vautours se sont appropriés pour nous les revendre. Partant de là, il ne serait vraiment pas compliqué de rediffuser ces contenus qui nous appartiennent, à nous, nous tous.

De ce qui est juste

Techniquement (enfin, juridiquement) parlant, le coup de l’aspirateur ou celui de la porte dérobée dont je viens de parler serait illégal : les licences que nous (je parle des Bu) signons avec nos fournisseurs ne nous autorisent à diffuser les contenus acquis qu’au sein de notre communauté universitaire, soit les personnels et étudiants de notre structure.

Moralement et éthiquement parlant, il me semble par contre que ce serait juste. C’est une question qui vaut la peine d’être posée et que vous devriez vous poser. Pour ce qui me concerne, à titre personnel, j’ai ma réponse depuis longtemps.

De la prudence

En discutant avec plusieurs personnes sur mon idée d’engagement public pour des bibliothécaires à procéder si cela devenait nécessaire à des libérations de contenus, j’ai compris que je risquais de faire courir à ces collègues un risque important (les vautours blessés sont très méchants et n’hésitent devant rien).

Je pense à présent que la désobéissance bibliothéconomique, si elle doit se produire, doit se faire collectivement ET anonymement par simple prudence élémentaire — il y a déjà eu assez de dégâts irréparables.

Des malins

Je suis régulièrement épaté de la malignité des éditeurs scientifiques commerciaux qui ont réussi à mettre en place des workflows parfaitement rodés aboutissant à ce que des chercheurs produisent des contenus (articles) qu’ils remettent gratuitement (la majorité des auteurs d’articles scientifiques ne touchent pas un centime de droit d’auteur pour leur production) à des éditeurs qui les revendent très cher aux institutions qui financent lesdits chercheurs. Je trouve ça vraiment très fort.

Des AO

Les Archives ouvertes sont une réponse évidente aux malins et à leurs aspirateurs du savoir qui nous dépouillent des biens communs (oui, pour moi, l’article produit par un chercheur payé par de l’argent public est un bien commun, au même titre qu’un manuscrit du 17ème scanné) pour mieux nous les revendre.

Mais les Archives ouvertes ne prennent pas vraiment, et surtout pas en France, pour partie, à cause de notre inertie (comparativement, un certain nombre des interventions récemment visibles lors des journées Couperin sur les AO étaient à ce titre très parlantes, sans parler du discours ministériel indigent là où tout le monde prétendait que des annonces incroyables allaient êtres faites — mais passons), et par ailleurs, parce que le truc le plus fort est que les vautours ont réussi à nous faire intérioriser l’idée qu’il n’y a pas d’autres alternatives que le système des vautours – et ça, c’est très très fort.

Du système

Oui, je suis en train de glisser de la problématique des contenus du domaine public en passe d’être privatisés vers celle plus générale des contenus produits dans le cadre de la recherche scientifique et qui sont eux ‘siphonnés’ à la source puis commercialisés par les vautours.

Je glisse parce que je pense qu’il y a des similitudes :

  • tout ça est financé par de l’argent public, à tous les niveaux ;
  • tout cela rapporte de l’argent à des sociétés privées qui, sous couvert de diffusion de la science, n’ont plus que des visées de gains financiers ;

Surtout, comme je le disais hier (dans un autre cadre, à propos d’autres dérives, mais cela est valable ici aussi), ce “système fonctionne parce que nous le laissons fonctionner en le faisant fonctionner”

De la conclusion du jour

La conclusion est simple : il n’appartient qu’à nous, collectivement, autour des problématiques de difusion des biens communs issus de la recherche (articles) ou qui servent à la recherche (manuscrits par exemple), de changer les règles, par tous les moyens, en commençant évidemment par les moyens juridiques et politiques, mais aussi, s’il le faut finalement, par des actions alternatives concrètes (voir plus haut, l’idée de #bisounousfight)

Et ce nous, c’est toi.

PS : l’idée du coup de l’aspirateur ou de la porte dérobée marcherait aussi pour la partie vivante des contenus que les fournisseurs de documentation électronique privatisent de fait. Nous ne nous en apercevons pas, mais nous avons tous les éléments en main pour arrêter de nous faire tondre.

PS2 : il a déjà été question ou tenté dans les Bu de boycotter les fournisseurs qui nous escroquaient trop manifestement, en cessant les abonnements à leurs plate-formes. Évidemment, cela n’a jamais marché parce que cela suppose que l’on coupe les accès des chercheurs à la littérature scientifique dont ils ont besoin, ce qui n’est pas tenable. Par contre, si ces contenus ont été auparavant aspirés puis libérés, on peut couper les abonnements, les contenus sont toujours disponibles. Je me demande pourquoi personne n’évoque jamais cette piste.

Le jour où les bisounours mordront les vautours

<MàJ du 20 janvier, 20:12> La position des associations pro et acteurs concernés par cette histoire BNF est attendue avec impatience. Elle sera évidemment décisive, en particulier concernant la question de l’anonymat des “libérateurs” que j’évoque ici. Tout le monde attend. Soyez prudents. </MàJ>

Contexte #1

Un mouvement “souterrain” de privatisation des biens communs par des sociétés marchandes, mouvement dont une nouvelle manifestation vient de se produire avec la signature par la BNF d’un accord livrant une masse considérable de documents à des firmes privées très loin d’avoir des visées philanthropiques ;

Contexte #2
Le suicide d’Aaron Swartz, que je ne peux m’empêcher de lier au procès en cours contre lui à propos de l’affaire Jstor (même si évidemment, cela n’explique pas tout) ;

Conviction #1
Toutes les discussions du monde, les signatures de pétition, les tables rondes, n’arrêteront pas ces firmes ;

Conviction #2
Tant que les bibliothèques se comporteront comme des bisounours, les vautours les mangeront ;

Conviction #3
C’est le groupe qui fait la force (ou “on ne pourra pas amener tout le monde à mettre fin à ses jours” ou “tu ne peux pas arrêter les nuages avec un filet à papillons”)

Proposition
Il est temps pour nous de mettre en place une sorte d’équilibre de la terreur qui repose sur un principe simple : un certain nombre de bibliothécaires (nombre suffisant pour rendre toute poursuite trop compliquée/coûteuse) s’engage à libérer (i.e. diffuser sur le net, via torrent par exemple, ou tout autre moyen technique) tout document issu du domaine public qui aurait été privatisé et qui aurait été acquis par l’institution dans laquelle le bibliothécaire travaille ; et le cas échéant, ces bibliothécaires mettent cette menace à exécution collectivement.

Conséquence #1
Le marché devient de fait beaucoup moins intéressant pour ces firmes, qui savent qu’elles s’engagent sur un terrain miné sur lequel elles risquent d’avoir à se battre devant la justice, autour de questions sur lesquelles leur image sera ternie (et les vautours n’aiment pas ça, les vautours préfèrent passer pour de blanches colombes), et dans des procès qui finiront par leur coûter de l’argent, surtout s’il y a plusieurs “libérateurs” à poursuivre (les vautours n’aiment pas dépenser leur argent, les vautours sont des rapaces) ;

Conséquence #2
Le rapport de forces s’inverse, et on peut enfin arrêter de se faire allègrement plumer en pleurant en plus parce que les vautours sont vraiment trop trop méchants ;

Conséquence #3
On va un peu s’amuser, ça nous changera.

Cela vous plaît, comme idée, j’en suis certain. Non ?