Le fils d’Internet

Le 11 janvier 2013, à New York, Aaron Swartz mettait fin à ses jours. Il avait 26 ans.

Aaron Swartz était connu pour avoir, entre autres (je ne fais pas la liste, elle est proprement incroyable), participé à l’âge de 14 ans (vous avez bien lu) à l’élaboration du format RSS ; et à peine plus vieux, à avoir également participé aux premiers pas, côté technique, des Creative Commons. Il était également un très actif militant de l’Internet et des libertés individuelles (il a dans ce cadre participé largement au blocage du projet de lois SOPA).

Au moment de sa mort, Aaron Swartz était poursuivi par la justice américaine pour avoir téléchargé 4,8 millions d’articles scientifiques issus de la base de données JSTOR, et nombreuses sont les personnes qui lient ces poursuites et ce suicide dramatique.

Un documentaire américain, The Internet’s Own Boy, est sorti tout récemment sur la vie de ce garçon étonnant et ce documentaire est à présent disponible en version sous-titrée française (1).

Je vous invite vraiment (ce sont des sortes de devoirs de vacances) à regarder ce film (2) : au delà du parcours tragique et émouvant de Aaron Swartz, ce documentaire montre très bien quels sont les débats et enjeux actuels autour d’Internet, de nos droits fondamentaux, des usages, des questions de l’accès au savoir pour tous, en soulignant comment Internet interpelle tout le “vieux monde”.

Si vous êtes un/e professionnel de la documentation et des bibliothèques, vous ne verrez plus votre travail de la même manière après ce film, j’en prends le pari.

(1) les sous-titres ont été traduits à partir de la très intéressante plateforme Amara par @symac@btreguier et moi-même, qui remercie les deux premiers. Le documentaire avec ses sous-titres est disponible via torrent ici (restez en seed, merci — je rappelle qu’un torrent peut être parfaitement légal, la preuve). Le fichier srt seul est ici. Ce film est diffusé sous CC BY-NC-SA 3.0 et ses sous-titres en français le sont également.

(2) si vous visionnez via youtube, pensez à activer les sous-titres et éventuellement à régler leur aspect via l’icône ad hoc en bas à droite de la fenêtre vidéo youtube.

Qu’est-ce que le quotidien en bibliothèque ?

Lors du #bibcamp2014 dont j’ai parlé rapidement ici, j’ai saisi au vol une conversation tournant autour de la question du Service Public et de s’il fallait que les bibnums en fassent, ou pas. Assez vite, il s’est dit (comme d’habitude) qu’il était important que les bibnums participent au SP parce que c’était le seul moyen que ces personnels bibnums demeurent intégrés dans le quotidien des BUs.

Cette question SP/bibnum est récurrente (1) et si je mets quotidien en italiques, c’est tout simplement parce qu’il me semble que de fait, tout dépend de ce que l’on entend par là quand on dit ainsi que les bibnums doivent participer au quotidien des bibliothèques.

Si l’on déploie par ce terme une vision très physique, a-numérique, disons même pré-web, de la bibliothèque, alors oui, forcément, les bibnums doivent faire du SP puisque dans cette logique, la bibliothèque se cantonne à ses limites physiques, des murs, un toit, un bureau d’accueil, et des rayonnages —  la bibliothèque à papa en somme.

Évidemment, aussitôt que l’on élargit la réflexion à ce que recouvre réellement de nos jours la bibliothèque, et que l’on inclut sa composante numérique dans la réflexion, l’affirmation selon laquelle il n’est de connexion au quotidien que via le SP physique, n’a strictement  plus aucun sens : la bibliothèque de 2014 déborde très largement sa manifestation physique et il n’est nul besoin de faire du SP physique pour participer au fonctionnement de la boutique.

Si je prends mon modeste exemple (il me semble représentatif d’un banal bibnum), je ne fais plus de SP physique depuis 2 ou 3 ans (cf. note 1) mais je pense être parfaitement intégré au quotidien réel (i.e. actuel) de la #BUA :

  • mon bureau ouvert sur les espaces physiques reçoit régulièrement des étudiant/e/s en panne de PC ou ayant des problèmes de clefs USB, wifi, virus, à qui l’on a indiqué que je pouvais peut-être les aider (leurs ami/e/s ou plus simplement, mes collègues en… SP) ;
  • je réponds à nombre de demandes en ligne (formulaires contact de notre site web principalement mais aussi pages FB, compte Twitter ou plus traditionnellement, mails d’étudiant/e/s — l’adresse générique scd arrive dans ma BàL — sur toutes sortes de problèmes, la plupart numériques, mais pas tous, loin s’en faut) ;
  • j’assure toute l’année, y compris les WE, jours fériés et vacances, la surveillance de nos outils et les réponses à des messages du type “je n’arrive pas à me connecter à ceci ou cela, quand êtes-vous ouverts, quel est le sens de la vie, etc etc” — et cela intègre l’aide à mes propres collègues de la BUA ;

En résumé, mon quotidien n’est certes pas celui de mes collègues “tradis” (j’emploie ce terme dans un sens non-péjoratif) mais il n’est nullement détaché de celui de la bibliothèque entendue dans toutes ses dimensions : mon quotidien se situe donc simplement ailleurs, dans une zone beaucoup moins visible (c’est sans doute le coeur du problème que ça pose encore), mais aussi et paradoxalement beaucoup plus “large” à la fois dans l’espace (souvent, la personne qui me sollicite n’est pas dans la bibliothèque et elle peut même se trouver de l’autre côté de la Terre, en stage par exemple) et dans le temps (mon quotidien ne s’arrête nullement avec la fermeture des portes des sites physiques le soir).

D’ailleurs, en revenant à la conversation que j’évoque ci-dessus, je pouvais parfaitement retourner tout ça comme une chaussette : dans mon quotidien à moi, il n’y a quasiment pas de bibs-tradis, et on pourrait s’étonner qu’ils (mes collègues) soient ainsi laissés loin du quotidien de la bibliothèque (considérée dans son ensemble) et cantonnés à leur monde unidimensionnel (je fais un peu de provoc mais vous avez compris le fond du message).

On le voit, considérer que le SP physique est le seul moyen d’être au contact des usagers et de leur quotidien comme de celui de la bibliothèque, c’est réduire de beaucoup la bibliothèque, c’est en fait l’amputer de toute sa partie “immatérielle” où pourtant, nos usagers (étudiants mais aussi personnels et collègues) passent de plus en plus de temps.

Je n’ai malheureusement pas eu le temps de m’insérer dans la discussion à l’origine de ce billet pour déballer mes arguments chaussettes. Heureusement, ledit débat peut reprendre ici, ailleurs, à un autre moment, dans un autre quotidien : les commentaires sont ouverts.

(1) y compris à la BUA où, pour l’instant, la moitié de l’équipe (laquelle compte 4 permanents) ne fait pas de SP physique, l’autre moitié étant limitée à 2h/semaine, à ma demande expresse. Oui, ça étonne mais ma réponse est prête : “personne ne participe à mon quotidien, je ne vois pas pourquoi je dois participer à celui de la bib physique : venez dans mon quotidien si vous voulez que je vienne dans le vôtre”.

Back from Bibcamp 2014

Petit retour et remarques en vrac sur le #bibcamp2014  qui vient donc de se tenir à l’initiative de l’ADBU.

Je passe rapidement sur le joyeux bordel entre les rounds d’ateliers : j’aime les choses auto-organisées, mais j’aime tout autant les cadres clairs, mon mantra étant qu’une fois que tu as posé un cadre très défini, tu laisses courir les choses. En tous les cas, on était loin d’un colloque très policé et vertical et c’était plutôt déstabilisant, ce qui ne fait jamais de mal à personne.

J’ai regretté aussi que ça se termine si tôt : on commencait juste à être chaud, et je pense qu’il y avait largement le temps d’un quatrième round.

Enfin, le principe de l’atelier qui se monte sans réel animateur repéré au préalable m’a semblé un peu dangereux : le risque est grand de se retrouver, dans l’atelier, avec X personnes intéressées par le sujet, mais personne ne le connaissant vraiment — on tourne vite alors à l’aimable café-klatsch qui, pour tout dire, n’est pas ma tasse de thé.

Quoi qu’il en soit, c’était plutôt sympa et surtout, c’était monté par l’ADBU ce qui, je l’espère, aidera à ce que les questions numériques apparaissent un peu légitimées dans les sphères décisionnelles même si, mais on pouvait s’y attendre, j’ai croisé fort peu de mes collègues Dir BUs.

Pour finir, j’ai été frappé de l’hétérogénéité des présents : me situant dans ce que je considère comme un niveau moyen + de compliance numérique, j’ai bien vu qu’un certain nombre de questions/débats/solutions pourtant quotidiens du milieu bibnum était totalement nouveau à certains yeux écarquillés. Il m’a semblé que nous étions donc plutôt dans un espace d’hybridation de publics (les bibnums hard-core rencontrent les sympathisants) que dans une stricte rencontre de geeks que peut-être, j’attendais inconsciemment.

Cela dit, après tout, on est toujours le geek ou le candide numérique de quelqu’un. Si le bibcamp avait été un hackathon, j’aurais sans doute été totalement largé et quelqu’un, quelque part, serait en train de s’étonner des hétérogénéité des présents (“pensez, il y avait un gars à ce camp, qui bricolait un vague code, pas très vite, et pas très proprement”).

Maintenant, au-delà du moment (revoir les collègues bibnum, croyez-moi, ça remonte le moral et ça aide à se sentir moins seul), il reste les questions stratégiques :

  • Comment faire pour que ce qui s’est dit dans ces ateliers diffuse plus largement dans la profession (après tout, nous n’étions que peu) ?
  • Comment accélérer et généraliser le mouvement d’upgrade pro qui, en 2014, est à mes yeux toujours beaucoup trop lent ?
  • Comment faire tomber la distinction bibnum/bibtrad pour qu’enfin, la bibliothèque soit numérique dans son entier, i.e. que bibliothécaire rime d’évidence avec bibliothécaire numérique ?

Je n’ai pas beaucoup plus de réponses à ces questions après le bibcamp 2014 qu’avant, mais les commentaires sont ouverts, si vous avez des idées ou des retours à faire sur le sujet.

Le mulot mort des bibliothèques

<MàJ 2 du 25 mai 2014>Merci à Christine pour la liste des postes I.T.R.F.  mais malheureusement, rien dans le tableau ne permet de déterminer si les recrutements indiqués sont à destination des bibliothèques. On reste donc dans le flou quand à la proportion d’I.T.R.F Bap E dans le monde magique des bibs </MàJ>

<MàJ du 25 mai 2014> On me fait fort justement remarquer dans l’oreillette que je pose en regard une liste de recrutement hyper-spécialisée (code4libs) à une liste de profils généralistes (Poppée) et que cela pose un problème méthodologique. Effectivement, à y réfléchir, je compare des choux et des carottes.
Il faudrait donc aligner en face de la liste des jobs code4libs l’équivalent pour nos I.T.R.F. recrutés à destination des bibliothèques, mais je n’ai pas trouvé de telle liste : merci de la signaler en commentaire si vous savez où la trouver afin que ma comparaison devienne plus scientifique.
Cela dit, je maintiens mes positions sur la suite du billet : ma comparaison choux-carottes pose problème, mais il reste vrai que la soupe des bibliothèques manque très cruellement de spécialistes du numérique, et ce n’est pas qu’une histoire de goût personnel.</MàJ>


Twitter est un outil professionnel très important pour moi (non, ce n’est pas un endroit réservé aux lolcats et autres pédophiles nazis et si vous en êtes encore là sur votre compréhension des réseaux sociaux, ce n’est peut-être pas la peine de continuer à lire) et c’est via Twitter (merci les potes) que je suis retombé sur code4libs (en résumé, un site consacré aux bibs à forte orientation numérique sur lequel j’étais déjà passé mais que j’avais arrêté de suivre, trop douloureux que c’était).

Je vous laisse aller découvrir les recrutements en cours actuellement dans les universités anglo-saxonnes et je vous laisse également mettre en regard les profils de poste en bibliothèques que nous voyons apparaître par exemple dans le très français Poppée.

Voilà, je pense que vous avez compris le problème.

Ce décalage énorme, sur lequel je me suis déjà exprimé (ça me lasse, ce radotage, vous ne pouvez pas imaginer), est à mes yeux très symptomatique de la manière dont les bibliothèques françaises gèrent le changement de civilisation actuellement en cours du fait du numérique : elles ne le gèrent pas, et continuent à penser que savoir vaguement utiliser Excel ou Word est le fin du fin numérique.

Personnellement, je pense que ce problème est lié en grande partie au fait qu’une bonne partie de notre encadrement de haut niveau n’a absolument pas compris ce qui se passe : les cadres mentaux de nos pilotes ne sont tout simplement pas en mesure de penser le bouleversement en cours et donc, encore moins, de l’accompagner. Notre encadrement fait donc ce que nous faisons tous dans ce cas, il se replie sur ce qu’il connaît, la conservation, le gardiennage de la culture (comme si le numérique était incompatible avec la culture), le blah blah théorique, la recherche bibliothéconomique (cette vaste blague).

Je pense aussi que notre recrutement doit changer. Urgemment. Certes, la fonction publique fait que l’on ne peut pas faire ce que l’on veut. Mais en attendant une évolution du recrutement et des formations initiales des bibliothécaires (on peut rêver), il me semble que nous avons deux moyens d’actions :

  • faire des recrutements contractuels sur fonds propres (au besoin en sacrifiant temporairement la documentation, papier en particulier) ;
  • et surtout, saisir toute possibilité de basculer un poste de bibliothécaire en I.T.R.F. Bap E, en cessant enfin de fonctionner dans cette logique (de caste) de maintien à tout prix de postes de bibliothécaires : des bibliothécaires, dans nos boutiques, nous en avons bien assez maintenant, ce n’est vraiment plus de cela que nous avons besoin.

J’en profite pour répondre à quelques arguments qui m’ont déjà été opposés sur ce qui précède :

  • le modèle des universités privées américaines n’est pas notre modèle : c’est vrai et tout n’est pas bon dans le modèle américain, loin s’en faut. Mais regardez la liste de jobs que je pointe. Il y a également des universités publiques. Alors, pourquoi y arrivent-elles, et pas nous ?
  • formons des bibliothécaires déjà en place, au numérique : croyez-moi, il est beaucoup beaucoup plus rapide d’acculturer un développeur aux particularités (pas si particulières, du point de vue technique) des bibliothèques, que de former un bibliothécaire au PHP ou à de la gestion système, et nous l’avons constaté in vivo dans mon équipe, avec la mise à disposition par notre DDN (c’est le nom angevin de la DSI) d’un développeur PHP sur le projet Archives Ouvertures de l’UA (lequel projet, en passant, est en production pour le moment “intranet”, le produit devant être présenté en avant-première lors des JEDA du 04 et 05 juillet — inscrivez-vous) ;
  • les compétences numériques nous ont été retirées et ont été recentrées dans notre DSI : franchement, c’est normal. Comment voulez-vous qu’on prenne les bibliothèques au sérieux sur les questions numériques ? Nous avons démontré et démontrons chaque jour collectivement à quel point nous ne prenons pas le numérique en compte, puisque nous n’y consacrons que des RH indigentes (la bibnum BUA c’est 3,4 ETP, dont personne avec une formation initiale technique/informatique, quand le SCD compte 46 ETP et quand je pense qu’en fait la section numérique devrait être à 1/4 voire 1/3 des effectifs globaux des SCD) . On nous prendra au sérieux, i.e. on cessera de nous retirer des compétences numériques, quand nous donnerons place au numérique, vraiment. Ici comme partout, tout le temps, on récolte ce que l’on sème.

Voilà, un nième billet sur les mêmes thématiques, avec un arrière-goût amer de voir que nous (les bibliothèques) laissons passer une occasion incroyable de nous positionner dans ce monde d’informations et de données qui est en pleine explosion et dans lequel nous aurions toute place, si seulement nous faisions ce qu’il faut pour y être.

Allez, histoire d’en rire, le mulot.

Concours (de circonstance)

Bon, d’accord, le titre est très moyen, mais je n’ai pas réussi à m’en empêcher — la honte soit sur moi.
Assez ri, revenons à ceci où, pour les fainéants de la souris, je protestais contre l’endogamie nuisible que portent les sujets du concours de Conservateur. L’été étant passé et la bise venant, j’ai essayé de formaliser ce que pourrait être une évolution de l’actuel concours. Et donc, ci-dessous, quelques réflexions/pistes en désordre.

Une refonte totale de l’actuelle concours, avec disparition de la ridicule dissertation, semble difficile : un concours de recrutement de cadres de la fonction publique se doit apparemment de proposer cette fourche caudine et y toucher, c’est toucher aux fondements de la fonction publique, aux fondements de la République, aux fondations de l’Univers tout entier. Ok, essayons autre chose d’autant qu’après tout, une part des recrutés peut encore être composée aussi de forts en thèmes historiens, philosophes et littéraires (il faut de tout pour faire une bibliothèque).

Cette autre chose pourrait être un concours type troisième voie (la seconde, c’est le concours interne dont je suis issu, ce qui en dit assez les dangers) légèrement différent des deux premières voies, avec par exemple, à l’admissibilité, le maintien de l’écrit de synthèse (ça ne mange pas de pain d’être synthétique dans la vie, et cet écrit permet de vérifier un minimum la maîtrise de la langue écrite — il ne s’agirait pas de laisser la plèbe envahir les golfs) ; et un second volet d’admissibilité sur dossier (CV des candidats, réalisations pro, etc) avec un niveau minimum à bac +3 pour rester entre gens de bonne naissance (toujours dans le souci de protéger les golfs).

Pour l’oral, on garde une bonne vieille épreuve de langue (ça ne mange pas de pain non plus) et un “grand oral” qui porte non pas tant sur la culture générale classique du candidat (du genre, qui a écrit la Septième de Beethoven ou que pensez-vous de la poésie iranienne du 3ème siècle) que sur son parcours personnel et professionnel, et ses motivations à devenir un cadre des bibliothèques.

Il s’agirait dans cet oral, pour les jurys, de repérer les personnes aptes à devenir de bons cadres techniques des bibliothèques car, pour la Xième fois, nous avons besoin de cadres techniques, pas de purs esprits scientifiques déconnectés du réel.

Ce qui précède pourrait aider à changer un peu la composition des populations de conservateurs, surtout si on publicise ce concours vers des viviers autres que nos viviers traditionnels de recrutement (je pense évidemment aux informaticiens et autres ingénieurs en ce qu’on veut, mais en fait, à tout le monde — le but est ici d’ouvrir largement le recrutement dans toutes les directions)

En effet collatéral d’un concours troisième voie de ce type : notre sainte mère l’ENSSIB changerait de nom (entre autres réformes sur son enseignement mais c’est une autre longue histoire) et deviendrait l’ENSCTSB (l’Ecole Nationale Supérieure des Cadres Techniques et Scientifiques des Bibliothèques), manière de rappeler au passage quels sont nos besoins réels de formation et ce que doit être un conservateur.

Les commentaires attendent vos avis et suggestions sur mes vagues idées (à affiner) et vos propositions (elles seront certainement intéressantes) pour une réforme réalisable.

PS : je ne parle pas ici du système des promus, qui est une quatrième voie de fait. Mais je pense qu’il est temps aussi que la promotion bibliothécaire > conservateur cesse d’être ce qu’elle est à l’évidence de manière très générale pour devenir enfin ce qu’elle devrait être, le moyen de faire progresser rapidement et sans concours supplémentaire des collègues bibliothécaires qui en veulent et font du bon boulot. En bref, la promotion doit devenir une promotion au mérite et aux potentialités exprimées, pas un cadeau de départ à la retraite, ce qu’elle est quand même souvent (no offense).

Voici ma réponse

Soit donc ce tweet relayé par mes soins en interne #BUA signalant que les collègues de la bibliothèque de l’école Centrale Lyon lancent sur leur site une suite de billets s’inspirant (c’est nous faire trop d’honneur) d’une série #BUA dont vous pourrez lire le dernier exemple ici.

Arrive la réponse d’une collègue se félicitant évidemment de l’initiative de Centrale Lyon ainsi que du fait que notre série fait des émules, et posant la question de fond suivante : “je me demande toujours qui lit réellement ces beaux billets souvent longuement préparés par les collègues et comment on pourrait les mettre davantage en avant”.

Voici ma réponse, qui est toujours celle que je fais dans ce cas : “combien de personnes vont lire les livres qu’on commande, paie, équipe, catalogue, installe en rayon, qui n’en sortent pour un nombre certain jamais (on peut avoir les stats avec Aleph) et finissent au pilon sans jamais avoir été ouverts ?

Précisons.

N’importe lequel de nos billets #BUA est lu au minimum disons cinquante fois et il y a des “hits” qui vont bien au-delà — combien de nos centaines de milliers de livres en rayon sont sortis 50 fois ou même ont été consultés sur place 50 fois ?… Donc pour moi, l’investissement en temps pour un billet est largement plus rentable que pour le reste des tâches classiques traditionnelles, d’autant que cet investissement blog participe sans doute à l’emprunt des documents (le double effet kiss cool).

Après, évidemment, pour les billets, on a tout intérêt à les rendre encore plus visibles surtout si on suppose qu’ils amènent aux documents…

C’est là que jouent pour ma partie (je ne parle pas ici de valorisation physique mais elle s’articule évidemment avec le reste, le “virtuel”) le web et les réseaux sociaux et c’est pour ça aussi que je pense que nous ne travaillons pas assez TOUS les réseaux.

Je demeure persuadé que nous (les bibs en général et à Angers) sommes toujours ancrés dans la logique selon laquelle l’important est de remplir les rayons y compris virtuels et d’amasser du stock, même s’il dort.

Or je pense au contraire que l’important est de mettre en oeuvre des stratégies de communication et de valorisation pour que ces rayons se vident (i.e. que les documents soient empruntés/lus).

C’est une évidence — on va me dire que j’enfonce des portes ouvertes. Certes. Mais concrètement, au-delà des discours, qu’est-ce que nous mettons en oeuvre pour que nos actions et nos moyens (RH par exemple) soient cohérents avec ce qui précède ?

De l’air

Lettre ouverte à Madame la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et Madame la Ministre de la Culture et de la Communication

Mesdames,

Comme tous les ans depuis ma propre réussite quelque peu hasardeuse au concours de conservateur des bibliothèques, j’ai attendu avec impatience ces derniers jours de découvrir les sujets des épreuves écrites de la dissertation du cru 2013. Comme tous les ans, j’ai constaté une fois de plus à quel point ces sujets* étaient totalement inadaptés, dans les recrutements qu’ils allaient induire, aux besoins des bibliothèques.

Il n’est en effet pas besoin d’être grand clerc pour constater que ce type de sujet ne laissera émerger que des profils strictement littéraires. Ce faisant, notre profession continuera à se priver à l’évidence de la diversité et de la richesse que pourraient lui apporter, par exemple, des lauréats possédant un bagage scientifique «dur», des juristes, des étudiants issus de parcours techniques ou informatiques ou encore d’écoles de gestion ou de management.

Cette endogamie programmée ne peut avoir que des conséquences désastreuses sur nos bibliothèques, en limitant de fait la nature des regards critiques qui se porteront sur les collections et leurs compositions (la plupart sinon la majorité des conservateurs des bibliothèques ont ainsi une méconnaissance totale du domaine scientifique «dur», pour ne prendre que cet exemple criant) et, plus grave, en participant à la constitution d’une «caste» de cadres historiens, philosophes et littéraires «purs» bien éloignés des réalités, difficultés et besoins qui définissent une bibliothèque au 21ème siècle.

Si le rapport de l’IGB (Inspection Générale des Bibliothèques) qui vous a été remis en ce mois de mars 2013 comporte certains éléments judicieux concernant le présent et le futur des bibliothèques (comme certaines inflexions à apporter sur la structure et la typologie des emplois du secteur), il omet totalement de préconiser la nécessaire refonte des concours de recrutement des conservateurs (et de leur formation initiale toujours par trop théorique, mais c’est un autre débat…) sans laquelle nos bibliothèques ne pourront que s’éloigner un peu plus du monde dans lequel elles sont censées évoluer. Le même rapport, en évoquant une élévation de la barrière d’entrée du niveau L3 actuel, au niveau M2, tend même à suggérer des changements qui aggraveraient in fine le phénomène ici dénoncé en hyperspécialisant encore, dans leur champ très restreint, les futurs cadres supérieurs des bibliothèques.

Madame la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Madame la Ministre de la Culture et de la Communication, j’en appelle donc ici à votre intervention et vous demande instamment de peser de toutes vos forces afin qu’enfin, les nécessaires réformes arrivent, qui élargiront le recrutement des conservateurs des bibliothèques au-delà de la catégorie des forts en thème, et donneront à nos établissements les cadres qu’ils méritent, et l’air frais qui y manque.

Dans cette attente, bien respectueusement.

* Pour mémoire, lesdits sujets étaient, pour le concours externe : «La culture est la langue commune de l’Europe» F. Braudel – commentez ; pour le concours interne «Quel sens l’érudition peut-elle avoir aujourd’hui ?»

Cambouis

Je suis arrivé à la BUA en 2007 et assez vite, comme mes camarades locaux, j’ai commencé à être sollicité assez régulièrement pour des interventions autour de mon boulot, les bibliothèques, le futur, tout ça, tout ça.

Jeune et naïf et flatté des invitations, j’ai tout accepté et rapidement, (en plus d’être de moins en moins dans ma boutique à travailler, ce qui est tout de même le problème premier), je me suis épuisé à répéter souvent et un peu toujours le même discours constitué surtout de retours d’expériences BUA et de généralités qui semblaient intéresser beaucoup de monde mais n’étaient jamais suivies d’effets ou de réalisations concrètes :

  • soit que mon intervention s’insérait, à y bien réfléchir, dans une sorte de tourisme de formations et d’information qui est l’une de nos maladies professionnelles (réfléchissez une seconde au temps, à l’argent public, à l’énergie dépensés dans ces multiples journées d’études qui ne produisent strictement rien du tout) ;
  • soit que les gens présents, qui voulaient mettre en oeuvre de choses dont nous avions parlé, étaient ensuite bloqués par leur N+X ;

(à mon avis, c’était un peu des deux).

Lassé de parler dans le vide et de participer à ce tourisme qui me hérisse, j’ai donc fait depuis maintenant plusieurs gros mois un moratoire sur mes interventions extérieures, refusant tout pour me laisser le temps de souffler et de réfléchir à la manière dont je pouvais essayer quand même d’être cohérent avec ce que je pense par ailleurs de la nécessité que notre métier a de se réformer (concrètement, professionnellement s’entend) très rapidement.

Les demandes d’interventions continuant à arriver, j’ai terminé de réfléchir (hier matin, quelque chose comme ça) : je vais donc préciser le cadre dans lequel j’accepte éventuellement d’intervenir.

Donc, pour toutes les demandes à venir, ma réponse sera :

  • Éventuellement oui pour des interventions avec un noyau central sous forme de TD ou TP, sur des cas concrets, et donc oui pour du cambouis, des trucs mains dans la machine, du genre “on se colle sur des PC et on sue ensemble et on monte un site ou un blog ou on bidouille un epub” (exemple type de choses acceptées dans ce cadre, l’intervention à la Roche sur Yon récemment, et celle à venir, à Poitiers, en mars, qui sera un gros TD Drupal étalé sur plusieurs semaines) ;
  • Non (de manière certaine) pour des retours d’expériences et/ou interventions blah blah sur des thématiques du genre “les bibliothèques, le web et après”, “Réseaux sociaux VS bibliothéconomie blah blah”, “Les portails de bibliothèques peuvent-ils résoudre la faim dans le monde et rendre la vue aux aveugles”, etc (liste non exhaustive).

Voilà. C’est un peu rude, mais ça a le mérite d’être clair.

Monsieur Patate, Bibliothécaire

Je pose ici ma présentation de ce vendredi 30 novembre matin auprès de la licence Pro UA Traitement et gestion des archives et des bibliothèques.

La commande initiale était “La bibliothèque sur Internet”, mais je vais essayer d’élargir le propos autour de deux idées qui font pivot, soit la bibliothèque continuum, pour éviter la posture classique bibtradi vs bibnum ; et le bibliothécaire comme Monsieur Patate, professionnel aux nécessaires multiples facettes/compétences qui peuvent changer facilement.

Évidemment, en filigrane, il y a l’idée que Monsieur Patate ne peut pas/plus faire l’économie du technique/numérique, quel que soit son niveau d’intervention/hiérarchique — on peut rêver.

Mon généraliste n’est pas un spécialiste

Un billet récent parlant en fait de tout autre chose a vu émerger dans ses commentaires une des questions qui me tiennent à coeur, celle de savoir si les négociations Couperin doivent être menées par des volontaires de la profession (dont je salue ici l’engagement), ou par des négociateurs extérieurs spécialisés, recrutés seulement pour cela.

Cette problématique, en fait, croise la problématique plus large de notre (non)professionnalisation dans les domaines qui ne sont pas traditionnellement au coeur notre métier. En l’espèce, il me semble que nous avons collectivement tendance à penser que, parce que nous sommes des généralistes, nous saurons ou savons remplir toutes les fonctions, y compris les plus spécialisées.

Et il me semble que c’est une grave erreur dont on constate les effets, donc, sans doute sur les négociations commerciales dont il est question plus haut (je reste persuadé que les éditeurs nous baladent un peu comme ils le veulent), mais aussi, par exemple :

  • quand nous nous piquons de monter des supports de comm’ visuelle dont, très souvent, le principal effet est de faire saigner les yeux de ceux qui les regardent (la comm’, c’est un métier, il y a des écoles pour ça) ;
  • quand nous nous engageons en toute bonne foi dans des dossiers du type “portail” de bibliothèques et autres outils informatiques “très techniques” avec comme bagage le seul léger vernis acquis au cours de notre formation (l’informatique, c’est un métier, il y a des écoles pour ça) ;

avec pour effets, si je reprends les deux exemples ci-dessus :

  • de nous faire perdre toute crédibilité auprès de nos usagers et d’obtenir, au mieux, un effet de confortation dans l’image ringarde que nous avons encore souvent ; au pire, un magnifique effet repoussoir ;
  • de nous retrouver avec des usines (informatique) à gaz que nous ne maîtrisons pas, qui ne fonctionnent pas, ne rendent pas les services attendus, et ont coûté à la collectivité des sommes avec plusieurs zéros quand des outils plus performants et beaucoup moins chers existent (en l’espèce d’ailleurs, je constate souvent que le fait de savoir à peu près de quoi on parle dans ce domaine évite que l’on me raconte et vende n’importe quoi sous couvert d’un discours technique totalement bidon mais indécelable par un cons’ généraliste) ;

De fait, je pense que dès que nous sortons de notre coeur de métier (i.e. la documentation, sa gestion et sa mise à disposition) et quelle que soit notre entrain à nous attaquer à ces questions de spécialistes, nous prenons le risque certain de mal faire (sauf très rares exceptions qui ne constitueront jamais la règle).

En résumé, le fait de savoir sous quelle cote sont rangés les manuels de commerce ou de comm’ ou d’informatique ne fait pas de nous des commerciaux ou des communicants ou des informaticiens, mais montre simplement que nous savons où est la documentation — c’est tout et c’est ça notre métier.

Et l’une des conséquences logiques des constats de ce billet est que notre formation initiale ne doit plus être une formation de généralistes comme elle continue à l’être, mais une formation de vrais spécialistes à l’issue de laquelle on trouvera enfin sur le terrain des (bib)managers, des (bib)communicants,  des (bib)négociateurs, des (bib)informaticiens, etc.

Sans cette logique de spécialisation qui participe de notre professionnalisation collective encore très largement à faire, nous continuerons à être ce que nous sommes : de très bons élèves, emplis de bonne volonté et de courage, et qui sont surtout des proies faciles.