Mon généraliste n’est pas un spécialiste

Un billet récent parlant en fait de tout autre chose a vu émerger dans ses commentaires une des questions qui me tiennent à coeur, celle de savoir si les négociations Couperin doivent être menées par des volontaires de la profession (dont je salue ici l’engagement), ou par des négociateurs extérieurs spécialisés, recrutés seulement pour cela.

Cette problématique, en fait, croise la problématique plus large de notre (non)professionnalisation dans les domaines qui ne sont pas traditionnellement au coeur notre métier. En l’espèce, il me semble que nous avons collectivement tendance à penser que, parce que nous sommes des généralistes, nous saurons ou savons remplir toutes les fonctions, y compris les plus spécialisées.

Et il me semble que c’est une grave erreur dont on constate les effets, donc, sans doute sur les négociations commerciales dont il est question plus haut (je reste persuadé que les éditeurs nous baladent un peu comme ils le veulent), mais aussi, par exemple :

  • quand nous nous piquons de monter des supports de comm’ visuelle dont, très souvent, le principal effet est de faire saigner les yeux de ceux qui les regardent (la comm’, c’est un métier, il y a des écoles pour ça) ;
  • quand nous nous engageons en toute bonne foi dans des dossiers du type “portail” de bibliothèques et autres outils informatiques “très techniques” avec comme bagage le seul léger vernis acquis au cours de notre formation (l’informatique, c’est un métier, il y a des écoles pour ça) ;

avec pour effets, si je reprends les deux exemples ci-dessus :

  • de nous faire perdre toute crédibilité auprès de nos usagers et d’obtenir, au mieux, un effet de confortation dans l’image ringarde que nous avons encore souvent ; au pire, un magnifique effet repoussoir ;
  • de nous retrouver avec des usines (informatique) à gaz que nous ne maîtrisons pas, qui ne fonctionnent pas, ne rendent pas les services attendus, et ont coûté à la collectivité des sommes avec plusieurs zéros quand des outils plus performants et beaucoup moins chers existent (en l’espèce d’ailleurs, je constate souvent que le fait de savoir à peu près de quoi on parle dans ce domaine évite que l’on me raconte et vende n’importe quoi sous couvert d’un discours technique totalement bidon mais indécelable par un cons’ généraliste) ;

De fait, je pense que dès que nous sortons de notre coeur de métier (i.e. la documentation, sa gestion et sa mise à disposition) et quelle que soit notre entrain à nous attaquer à ces questions de spécialistes, nous prenons le risque certain de mal faire (sauf très rares exceptions qui ne constitueront jamais la règle).

En résumé, le fait de savoir sous quelle cote sont rangés les manuels de commerce ou de comm’ ou d’informatique ne fait pas de nous des commerciaux ou des communicants ou des informaticiens, mais montre simplement que nous savons où est la documentation — c’est tout et c’est ça notre métier.

Et l’une des conséquences logiques des constats de ce billet est que notre formation initiale ne doit plus être une formation de généralistes comme elle continue à l’être, mais une formation de vrais spécialistes à l’issue de laquelle on trouvera enfin sur le terrain des (bib)managers, des (bib)communicants,  des (bib)négociateurs, des (bib)informaticiens, etc.

Sans cette logique de spécialisation qui participe de notre professionnalisation collective encore très largement à faire, nous continuerons à être ce que nous sommes : de très bons élèves, emplis de bonne volonté et de courage, et qui sont surtout des proies faciles.

Le droit de

Je ne sais pas vous mais moi et le droit, cela fait deux : le domaine juridique ne m’attire pas le moins du monde, je n’y comprends pas grand chose (sans doute parce que tout y est toujours très subtil et que la subtilité n’est pas forcément ma tasse de thé) et j’ai un peu de mal avec ce côté hyper-précis du droit que je soupçonne d’être largement incompatible avec ma fuzzy touch.

Et alors, allez-vous me dire ? J’y viens.

Je suis issu de la promotion DCB15 de l’ENSSIB et dans cette promotion, il y avait (entre autres zozos) un certain Calimaq, qui tient THE blog sur des questions de droit dont la très grande majorité touche directement ou indirectement les bibliothèques (son dernier billet — croyez-moi, vous ne pouvez vous dispenser de sa lecture — est un modèle du genre ; et c’est l’illustration parfaite de ce dont il est question ici).

Pour tout vous dire, j’ai le sentiment que dans de nombreux cas, nous (les bibliothèques) faisons un peu n’importe quoi sur le point du droit et de son application (par exemple, je pense que nous avons tendance à poser des © dans tous les sens sans être toujours bien au carré et/ou sans nous rendre compte des conséquences — autour du domaine public, par exemple — et/ou sans nous rendre compte que nous faisons tout simplement quelque chose de limite-limite ou d’absurde ou d’inutile).

Ainsi, quand je lis ce genre de choses, je prends conscience, à la fois, de mon ignorance crasse en ce domaine ; et en même temps, du besoin criant de spécialistes non-SHS* que les bibliothèques ont autour de ces questions en un moment où justement, le droit (entre autres), au moins dans sa partie qui nous concerne, est quand même un peu en train de bouger (oui, lui aussi).

Donc… Donc nous avons besoin, collectivement, d’une cellule de juristes-conseils (non, aucune bibliothèque ne peut se payer son juriste perso) localisée je ne sais où (enfin si, j’ai bien une idée), et qui puisse nous accompagner sur ces problématiques afin de nous éviter de faire n’importe quoi (comme faire des choses illégales ou entrer dans des démarches marchandes contraires au bien public).

Cette cellule s’assurerait par ailleurs y compris par des opérations de lobbying que, par exemple, le domaine public ne devienne pas payant ou que d’une manière générale, le droit n’évolue pas de façon à nous empêcher de continuer à remplir nos missions de service public.

Cette cellule serait constituée d’un groupe de personnes rémunérées pour cela, reconnues pour leurs compétences juridiques, et dont le travail exclusif serait de se mettre au service de la profession et de ses missions.

Les profils bibs-juristes sont rares, mais ça peut se trouver et/ou se recruter, et j’ai déjà un nom.

PS : je n’ai aucun intérêt personnel d’aucune sorte à tirer de cette proposition, je ne parle pas aux juristes, je ne comprends jamais leurs réponses 😉

* pardon Lionel mais pour moi, le droit n’entre pas dans les SHS, c’est… du droit, quoi

Tableau noir

(Première note, on attaque dur)

Le principal souci d’un responsable de bibliothèque numérique n’est pas dans la technique, il est dans l’humain et dans cette question que je trouve de plus en plus fondamentale : comment faire pour amener tous les collègues à évoluer sans heurts dans un environnement professionnel où la technique (entendez, les ordinateurs, les outils mobiles, le web, etc.) est de plus en plus incontournable ?

Il n’est pas besoin d’être grand visionnaire pour remarquer que la plupart des personnels des bibliothèques actuellement en place sont issus du monde papier, des bibliothèques papier (c’est d’ailleurs souvent, cela, le livre papier, qui les a amenés dans ce métier), et qu’ils ignorent encore beaucoup de choses du web, par exemple, de ce qui s’y passe, et de comment ça s’y passe.

Il n’est pas besoin d’être grand devin pour voir que cela ne changera pas avant un bon moment : le recrutement et la formation initiale des cadres de bibliothèques en particulier continue à n’aborder ces problématiques (pratiques) contemporaines que vaguement (selon le calendrier maya et mes calculs, le concours de conservateur comportera à l’oral une légère épreuve pratique php-mysql ou XML ou une mise en situation Facebook en 2067, pour mes 100 ans).

Nous n’avons donc pas (plus) le choix : nous devons investir en local dans de la formation massive, de terrain, au plus près des collègues, qu’il faut accompagner dans la grande migration sous peine de se retrouver avec un fossé de plus en plus large entre les besoins quotidiens de la bibliothèque, la pratique de nos usagers, et les possibilités/connaissances de ceux et celles qui y travaillent.

Et cette formation ne peut se plus réduire à une acculturation simple, comme nous avons essayé de le faire à la BUA avec des cycles de formation généraliste d’une heure sur des thèmes comme “les blogs”, “les CMS”, “Openoffice”, etc

Nos besoins demandent que nous allions vers du tableau noir lourd, du TD, de l’apprentissage concret par la pratique quotidienne, i.e., que nous réussissions à intégrer les problématiques et pratiques techniques dans la routine de chaque personnel de bibliothèque, en les amenant à mettre les mains dans le cambouis tous les jours, ce qui suppose de passer beaucoup de temps au départ avec eux à se partager la souris.

En dehors de cet investissement énorme en temps et en énergie, qui reposera en grande partie sur la bibliothèque numérique où sont censées être regroupées principalement les compétences dont on parle ici, je ne vois pas de solution pour prendre le virage dans lequel nous sommes déjà en retard, mais vous, peut-être que si : les commentaires sont ouverts.