Le long chemin du Général en Chef des Doigts

“Et ce n’est point errer, ô Pérégrin…” 

Ces quelques mots tirés d’Exil II de Saint-John Perse font partie du petit catalogue (privé) de mes citations préférées, et s’appliquent assez parfaitement aux premiers pas du GCD (Général en Chef des Doigts, j’utiliserai dorénavant cette abréviation) : tout est de fait à construire, personne ne sait vraiment de quoi il retourne, et personne non plus l’attend le GCD, qui se retrouve donc seul ou à peu près, devant une colline haute comme ça, à se demander par où commencer, quoi construire, et comment.

Je lis donc pour m’éclaircir les idées, ici ou là sur le Web, les témoignages des CDO de grandes entreprises, leurs petits trucs, leurs méthodes, leurs expériences, je cherche et pique les bonnes idées, j’écoute autour de moi celles qui peuvent émerger, je picore, j’entasse. Je me dis que chaque situation et institution sont à la fois très particulières, et dans le même temps, toujours banales — finalement, nous avançons tous dans le brouillard un peu flou du puzzle infini que nous construisons et même les vigies là-haut faisant œuvre de prospective pourraient se tromper tout le temps.

J’essaie en tous cas de ne pas m’attacher à des outils, des manières de, des modes, mais à penser en termes d’habitudes et de méthodes de travail, d’approches : l’enjeu ne me semble pas être dans le fait de faire utiliser ceci ou cela, mais bien, de décaler et agiter. Ce que nous faisons dans ces habitudes ancrées de long, nous pourrions certainement le faire autrement pour peu que nous lâchions la rampe des habitudes et puis, aussi, commencions à accepter d’errer.

Cela, finalement, c’est tout de même une forme de stratégie. Je savais bien que quelque chose était logique.

PS : la partie entière du texte de Saint-John Perse dont je cite un extrait ci-dessus, la voici :

” Et ce n’est point errer, ô Pérégrin
Que de convoiter l’aire la plus nue pour assembler aux syrtes de l’exil un grand poème né de rien, un grand poème fait de rien…”

Le Général en Chef des Doigts

Or donc, je dirige à présent le Service de Transformation Numérique de l’Université d’Angers, en tant que CDO (Chief Digital Officer). Et comme vous ne savez pas plus que moi de quoi il retourne, je me propose de réanimer un peu RJ45 pour tenir le journal de cette nouvelle aventure et poser ici quelques réflexions sur lesquelles vous ne vous gênerez pas pour faire des commentaires (je vous connais maintenant).

Chief Digital Officer. Officier en Chef du Numérique, ou quelque chose comme ça. Un peu martial, non ? Désamorçons. GCD, Général en Chef des Doigts, cela me convient mieux. Pour une raison plus sérieuse qu’il n’y paraît : l’enjeu dans ce que je vois de mes nouvelles missions, et de celles du CDO, me semble être autant dans la transformation numérique que dans ce qui est en fait central à mes yeux, l’accompagnement des institutions autour de la question politique posée par le numérique comme outil, question qui est en fait celle des hiérarchies.

Je précise : l’un des effets “collatéraux” (pas tant collatéral que cela) du raz de marée numérique est de faire éclater les logiques hiérarchiques anciennes. Et à mes yeux de débutant, la mission du CDO est précisément de transposer cette mutation organisationnelle, venue du numérique, dans les entreprises (d’où vient le concept de CDO) et les institutions académiques (au passage, il me semble bien que l’Université d’Angers est la première à se doter d’un poste de CDO, et vous pouvez lire ici la dépêche AEF concernant cette nouveauté — merci à l’AEF pour l’accord de diffusion).

Au-delà des aspects techniques (j’en reparlerai plus tard, et il y a des tonnes de choses à faire), à cette date, je pense donc surtout à la part de ma mission qui va concerner ce bousculement de hiérarchie (qui n’est pas que organisationnelle/structurelle, mais aussi mentale). Et donc (retour à la question de la dénomination), je suis étonné de cette thématique militaire, verticale, dans la dénomination de CDO : par quelle étrange processus la personne qui va de fait remettre en cause les hiérarchies des structures est-elle un Officier en Chef ?

J’en viens où je voulais aller : être un Chief Digital Officer, ce serait commencer par ne pas se réclamer du monde ancien et de ses logiques de subordination. Je décide ici que je vais tenter donc d’être un Général en Chef des Doigts, c’est à dire tout, sauf un Chef.

PS : attention, un CDO peut en cacher un autre et la confusion est fréquente. Pour le premier (qui me concerne donc directement), le D, c’est Digital. Pour le second, il est question de Data (Chief Data Officer) — sur cela aussi, je reviendrai.

PS2 : en vrai, Chief Digital Officer se traduit plutôt par Directeur de la Stratégie Digitale. Le militaire a disparu mais le hiérarchique est toujours très présent. Plutôt Général en Chef des Doigts, vous dis-je.