Avant que vous filiez sur les plages, je reviens rapidement sur cette question de la confidentialité que Couperin demande à ses membres, confidentialité qui, vous l’aurez compris, me travaille. En fait, je ne la comprends pas.
Sur la période des négociations préalables à la signature des contrats, je ne vois pas pourquoi les éléments de la négociation ne doivent pas être diffusés. La confidentialité semble logique dans le cadre d’un marché concurrentiel (au hasard, une réinformatisation qui met en concurrence plusieurs prestataires, cadre dans lequel on peut supposer que le silence sur les données de la négociation nous sert).
Mais en l’occurrence, dans le cas des négociations avec les grands éditeurs scientifiques, il n’y a pas de concurrence : personne d’autre que Elsevier ne diffuse Science Direct, Elsevier (mais cela vaut pour tous les autres éditeurs scientifiques du genre, ils sont une poignée à avoir les mêmes pratiques) n’a tout simplement pas de concurrent sur ce produit spécifique et donc, diffuser les coûts en cours de négociation ne mettrait certainement pas l’éditeur en position de faiblesse par rapport à ses concurrents sur le même marché spécifique : il n’y en a pas, de concurrent.
L’autre argument qu’on nous oppose souvent concernant cette confidentialité est que ce secret nous sert par rapport aux autres pays : en ne disant rien des coûts que nous payons ou allons payer, nous serions en mesure de négocier des conditions beaucoup plus avantageuses que les collègues des autres consortia.
Hum. Cette position me gêne sur plusieurs points mais tout particulièrement, sur ce qu’elle sous-entend : notre adversaire ici, si je suis bien, ce ne serait pas l’éditeur, mais par exemple, nos collègues européens. L’enjeu ne serait pas de négocier au plus bas avec Elsevier, mais bien de négocier plus bas que nos amis belges ou anglais. Curieuse attitude, vous ne trouvez pas ? Est-ce que justement, nous n’aurions pas tous intérêt à savoir précisément ce que nos camarades paient pour pouvoir comparer les choses et négocier tous à la baisse ?
Enfin évidemment, pour terminer, je ne comprends pas la confidentialité après que les contrats aient été signés : encore une fois, on parle d’argent public, de son usage et de sommes très importantes (la licence nationale Couperin en cours de discussion, c’est quand même XXX millions d’euros sur cinq années).
Dans un documentaire que j’ai vu récemment (je reviendrai dessus plus tard en vous disant tout le bien que j’en ai pensé), une des personnes interviewées dit cette phrase très intéressante : “Les secrets servent toujours ceux qui ont déjà le pouvoir”.
En l’occurrence, par un mécanisme assez pervers, nous nous sommes laissés imposer par les éditeurs qui nous plument une clause qui nous dessert à l’évidence, et nous avons oublié un élément fondamental des marchés : sans acheteur, il n’y a pas de vente.
En l’espèce, nous ne voyons même plus que dans les discussions qui se passent entre les éditeurs et nous, la personne en position de force, c’est nous, et c’est d’autant plus vrai quand, dans un monde numérique, l’éditeur n’a plus du tout le monopole de la diffusion et que des alternatives tout à fait fonctionnelles, entendez, les Archives Ouvertes, nous permettent de sortir la tête du collet qui nous étrangle de plus en plus.
Je reste persuadé qu’un des premiers pas pour nous tirer du piège où nous sommes serait de cesser de respecter cette clause de confidentialité, de la dénoncer pour les contrats passés, et de refuser absolument de signer tout nouveau contrat la comportant.
Pour cela, le premier pas que nous pourrions faire (comme les consortia amis et voisins) serait de dégager de notre charte de l’adhérent l’item traitant de la confidentialité, et de poser cela face aux éditeurs : c’est à prendre ou à laisser.
Oui, c’est un rapport de forces. Mais la force est de notre côté.
Voilà, tout cela vous donnera peut-être matière à réfléchir au lieu de vous saouler à la paillote la plus proche.
Passez un bel été et prenez soin de vous..
Heureusement, ça commence à bouger, et certaines “pôles” de recherche commencent à prendre conscience des problèmes de leur côté, et s’écartent des mécanismes classiques de publication. Par exemple, vu hier, le Symposium on Computational Geometry a communiqué autour de sa décision de quitter l’ACM (une des organisations majeures de publication de recherche autour de l’informatique) .
Les résultats (et raisons avancées) du vote sont éloquents : sur les 66% qui ont voté pour quitter l’ACM, 51% l’ont fait pour des raisons d’accès gratuit/libre aux publications.
http://makingsocg.wordpress.com/2014/07/16/results-of-the-vote/
On se hâte lentement, en somme 🙂
Merci de l’info.
D.
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Ça fait plusieurs mois que je réfléchis sur la même question, avec des conclusions qui s’approchent un peu des tiennes. J’ai tout de même une hésitation sur la vision que tu as du rapport de forces : je crois qu’il n’est pas autant en notre faveur que tu veux le croire, sinon nos négociations seraient des promenades de santé et la confidentialité n’existerait déjà plus. Mais cela demande à mon avis une discussion approfondie (et un changement de comportement important, donc fatalement progressif). J’ai comme toi eu envie de contribuer à la réflexion, mais comme je suis plus appliqué que rapide, j’ai commencé à travailler sur des billets de blog sur le sujet il y a trois mois, et je ne suis pas sûr qu’ils soient prêts avant fin août. Bon été en tout cas !
Des négociations de ce type ne peuvent pas être (et ne serons jamais) des promenades de santé, puisque ce sera toujours un rapport de forces, du moins, tant que nous resterons dans le modèle actuel. Mais je pense vraiment qu’il (le rapport de forces) est en notre faveur.
Nous sommes les producteurs initiaux, nous sommes les consommateurs finaux et techniquement, nous pouvons assurer la distribution nous-mêmes : en fait, nous n’avons absolument plus besoin des éditeurs scientifiques.
S’ils étaient indispensables avant, il y a bien longtemps, avant quelque chose qui s’appelle le web (et avant la démocratisation des outils du web, les logiciels libres pour aller vite), ils ne le sont plus et ils le savent parfaitement si tu veux mon avis. Mais ils ont réussi à nous convaincre du contraire et nous-mêmes, nous avons intégrés cette idée maintenant tellement bien ancrée qu’il est très difficile de s’en défaire (la force des habitudes…)
Comme tous les fonctionnements devenus routiniers (ils nous confisquent le savoir que nous produisons, nous le revendent, nous râlons sur les coûts mais nous payons), le coût de sortie est surtout un coût psychologique : les habitudes, c’est tellement confortable (tiens, je pourrais faire un parallèle avec Windows et Linux).
Après, sur les scénarii de sortie (je pense que dans le fond, la plupart des collègues commencent tout de même à y penser même si c’est encore inconscient ou informulé), il y a en gros deux lignes : la progressive (qui va prendre des siècles pendant lesquels nous allons continuer à payer notre dîme) et la radicale. Un peu comme lorsqu’il s’agit d’enlever un pansement qui colle sur la plaie. Personnellement, j’ai toujours trouvé qu’il valait mieux y aller franco en arrachant d’un coup : ça va plus vite, ça fait moins mal, et ça guérit mieux ensuite.
Bel été à toi aussi, en attendant ces billets qui seront sans aucun doute intéressants.
“Nous sommes les producteurs initiaux, nous sommes les consommateurs finaux”
Tout est dans le nous, dont il conviendrait de préciser ce qu’il est censé intégrer.
Nous = les bibliothécaires ?
Nous = la communauté universitaire ?
Nous, la communauté universitaire qui inclut donc les bibliothécaires.
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