Diverses considérations en vrac qui aboutiront à un billet long et bordélique mais pas si absurde que ça (ou pas)

Le titre étant assez clair sur la manière dont ce billet va être structuré, je commence de suite. Petite précision sur cette affaire : à cette heure, dimanche 27 janvier 2013, 10h56, silence assourdissant de la Bnf malgré les nombreuses réactions un peu partout y compris (ce qui me réjouit un peu) de la part de la plupart des assos professionnelles qui semblent enfin se réveiller d’un long coma intellectuel. Cela dit, la question du bisounoursfight reste entièrement posée parce qu’elle dépasse ce simple épisode.

Du bisounoursfight

#bisounoursfight est un hashtag apparu suite à ce billet appelant à la désobéissance bibliothéconomique au cas où. En résumé, le bisounoursfight est à mes yeux la réponse la plus ultime et cinglante que nous pourrions apporter aux vautours qui sont en train de privatiser un peu partout (on le verra plus bas) les biens communs, et cette réponse consisterait à récupérer et mettre en ligne librement et gratuitement les contenus privatisés dont il est question ici.

Techniquement, nous (les bibliothécaires) n’aurions pas vraiment de difficultés à réaliser cela : nous sommes au bon endroit pour ouvrir certaines vannes/portes dérobées ou utiliser certains outils proches de votre aspirateur domestique afin de récupérer tout ou partie des contenus (quand ils ne sont pas déjà dans nos locaux, sur des disques durs, du fait de l’achat d’archives) que les vautours se sont appropriés pour nous les revendre. Partant de là, il ne serait vraiment pas compliqué de rediffuser ces contenus qui nous appartiennent, à nous, nous tous.

De ce qui est juste

Techniquement (enfin, juridiquement) parlant, le coup de l’aspirateur ou celui de la porte dérobée dont je viens de parler serait illégal : les licences que nous (je parle des Bu) signons avec nos fournisseurs ne nous autorisent à diffuser les contenus acquis qu’au sein de notre communauté universitaire, soit les personnels et étudiants de notre structure.

Moralement et éthiquement parlant, il me semble par contre que ce serait juste. C’est une question qui vaut la peine d’être posée et que vous devriez vous poser. Pour ce qui me concerne, à titre personnel, j’ai ma réponse depuis longtemps.

De la prudence

En discutant avec plusieurs personnes sur mon idée d’engagement public pour des bibliothécaires à procéder si cela devenait nécessaire à des libérations de contenus, j’ai compris que je risquais de faire courir à ces collègues un risque important (les vautours blessés sont très méchants et n’hésitent devant rien).

Je pense à présent que la désobéissance bibliothéconomique, si elle doit se produire, doit se faire collectivement ET anonymement par simple prudence élémentaire — il y a déjà eu assez de dégâts irréparables.

Des malins

Je suis régulièrement épaté de la malignité des éditeurs scientifiques commerciaux qui ont réussi à mettre en place des workflows parfaitement rodés aboutissant à ce que des chercheurs produisent des contenus (articles) qu’ils remettent gratuitement (la majorité des auteurs d’articles scientifiques ne touchent pas un centime de droit d’auteur pour leur production) à des éditeurs qui les revendent très cher aux institutions qui financent lesdits chercheurs. Je trouve ça vraiment très fort.

Des AO

Les Archives ouvertes sont une réponse évidente aux malins et à leurs aspirateurs du savoir qui nous dépouillent des biens communs (oui, pour moi, l’article produit par un chercheur payé par de l’argent public est un bien commun, au même titre qu’un manuscrit du 17ème scanné) pour mieux nous les revendre.

Mais les Archives ouvertes ne prennent pas vraiment, et surtout pas en France, pour partie, à cause de notre inertie (comparativement, un certain nombre des interventions récemment visibles lors des journées Couperin sur les AO étaient à ce titre très parlantes, sans parler du discours ministériel indigent là où tout le monde prétendait que des annonces incroyables allaient êtres faites — mais passons), et par ailleurs, parce que le truc le plus fort est que les vautours ont réussi à nous faire intérioriser l’idée qu’il n’y a pas d’autres alternatives que le système des vautours – et ça, c’est très très fort.

Du système

Oui, je suis en train de glisser de la problématique des contenus du domaine public en passe d’être privatisés vers celle plus générale des contenus produits dans le cadre de la recherche scientifique et qui sont eux ‘siphonnés’ à la source puis commercialisés par les vautours.

Je glisse parce que je pense qu’il y a des similitudes :

  • tout ça est financé par de l’argent public, à tous les niveaux ;
  • tout cela rapporte de l’argent à des sociétés privées qui, sous couvert de diffusion de la science, n’ont plus que des visées de gains financiers ;

Surtout, comme je le disais hier (dans un autre cadre, à propos d’autres dérives, mais cela est valable ici aussi), ce “système fonctionne parce que nous le laissons fonctionner en le faisant fonctionner”

De la conclusion du jour

La conclusion est simple : il n’appartient qu’à nous, collectivement, autour des problématiques de difusion des biens communs issus de la recherche (articles) ou qui servent à la recherche (manuscrits par exemple), de changer les règles, par tous les moyens, en commençant évidemment par les moyens juridiques et politiques, mais aussi, s’il le faut finalement, par des actions alternatives concrètes (voir plus haut, l’idée de #bisounousfight)

Et ce nous, c’est toi.

PS : l’idée du coup de l’aspirateur ou de la porte dérobée marcherait aussi pour la partie vivante des contenus que les fournisseurs de documentation électronique privatisent de fait. Nous ne nous en apercevons pas, mais nous avons tous les éléments en main pour arrêter de nous faire tondre.

PS2 : il a déjà été question ou tenté dans les Bu de boycotter les fournisseurs qui nous escroquaient trop manifestement, en cessant les abonnements à leurs plate-formes. Évidemment, cela n’a jamais marché parce que cela suppose que l’on coupe les accès des chercheurs à la littérature scientifique dont ils ont besoin, ce qui n’est pas tenable. Par contre, si ces contenus ont été auparavant aspirés puis libérés, on peut couper les abonnements, les contenus sont toujours disponibles. Je me demande pourquoi personne n’évoque jamais cette piste.

Le jour où les bisounours mordront les vautours

<MàJ du 20 janvier, 20:12> La position des associations pro et acteurs concernés par cette histoire BNF est attendue avec impatience. Elle sera évidemment décisive, en particulier concernant la question de l’anonymat des “libérateurs” que j’évoque ici. Tout le monde attend. Soyez prudents. </MàJ>

Contexte #1

Un mouvement “souterrain” de privatisation des biens communs par des sociétés marchandes, mouvement dont une nouvelle manifestation vient de se produire avec la signature par la BNF d’un accord livrant une masse considérable de documents à des firmes privées très loin d’avoir des visées philanthropiques ;

Contexte #2
Le suicide d’Aaron Swartz, que je ne peux m’empêcher de lier au procès en cours contre lui à propos de l’affaire Jstor (même si évidemment, cela n’explique pas tout) ;

Conviction #1
Toutes les discussions du monde, les signatures de pétition, les tables rondes, n’arrêteront pas ces firmes ;

Conviction #2
Tant que les bibliothèques se comporteront comme des bisounours, les vautours les mangeront ;

Conviction #3
C’est le groupe qui fait la force (ou “on ne pourra pas amener tout le monde à mettre fin à ses jours” ou “tu ne peux pas arrêter les nuages avec un filet à papillons”)

Proposition
Il est temps pour nous de mettre en place une sorte d’équilibre de la terreur qui repose sur un principe simple : un certain nombre de bibliothécaires (nombre suffisant pour rendre toute poursuite trop compliquée/coûteuse) s’engage à libérer (i.e. diffuser sur le net, via torrent par exemple, ou tout autre moyen technique) tout document issu du domaine public qui aurait été privatisé et qui aurait été acquis par l’institution dans laquelle le bibliothécaire travaille ; et le cas échéant, ces bibliothécaires mettent cette menace à exécution collectivement.

Conséquence #1
Le marché devient de fait beaucoup moins intéressant pour ces firmes, qui savent qu’elles s’engagent sur un terrain miné sur lequel elles risquent d’avoir à se battre devant la justice, autour de questions sur lesquelles leur image sera ternie (et les vautours n’aiment pas ça, les vautours préfèrent passer pour de blanches colombes), et dans des procès qui finiront par leur coûter de l’argent, surtout s’il y a plusieurs “libérateurs” à poursuivre (les vautours n’aiment pas dépenser leur argent, les vautours sont des rapaces) ;

Conséquence #2
Le rapport de forces s’inverse, et on peut enfin arrêter de se faire allègrement plumer en pleurant en plus parce que les vautours sont vraiment trop trop méchants ;

Conséquence #3
On va un peu s’amuser, ça nous changera.

Cela vous plaît, comme idée, j’en suis certain. Non ?