Montée en puissance

En 1989 en Colombie, Escobar raconte le commencement de son histoire : « Comment ai-je commencé ? J’étais jeune, j’avais envie de vivre et j’avais de l’ambition. Je ne connaissais rien des affaires du narco-trafic. C’est alors que j’ai rencontré un jeune gringo dans une discothèque de Medellín (…) Le gringo avait un avion. Il voulait acheter de la cocaïne dans le pays. Plus tard, j’ai pris ma décision. Je l’ai mis en contact avec des gens spécialisés. Dès lors, je me suis trouvé embarqué dans cette filière, où j’ai fait entrer de nombreux amis. (…) Nous avons commencé à vendre de la marchandise à ce pilote américain, qui arrivait en Colombie avec son avion US et payait comptant en dollars. Ce commerce me semblait facile à première vue : il y avait peu de risques, c’était rentable. En plus, il ne fallait tuer personne, ce qui m’était important. (…) À cette époque, ce trafic ne faisait pas la une des journaux… au fond, je trouvais cette activité normale (…) ».

Pablo Escobar commence à investir dans la cocaïne en 1975, grâce notamment aux trafiquants de drogue pourchassés au Chili par le général Augusto Pinochet qui vient d’accéder au pouvoir. Ces trafiquants lui demandent d’établir des liens avec les zones de production de la pâte de coca au Pérou et en Bolivie, Escobar se spécialisant initialement dans la production de la cocaïne raffinée en Colombie. Pour son premier voyage, Escobar achète 15 kilogrammes de pâte de ce qui allait devenir son empire. Au début, il passe la drogue dans de vieux pneus et un pilote peut espérer gagner plus de 500 000 dollars en fonction de la quantité de drogue passée en contrebande.

Plusieurs fois, il pilote lui-même son avion, principalement entre la Colombie et le Panama dans le but de passer en contrebande de grosses quantités de cocaïne. Plus tard, quand il fait l’acquisition de 15 nouveaux et plus gros avions (dont un Learjet) et 6 hélicoptères, il fait en sorte de les faire décoller et atterrir depuis son ranch de l’Hacienda Nápoles où il se fait passer pour un éleveur.

Sa réputation commence à s’accroître lorsqu’il assassine en 1975 un célèbre trafiquant de Medellín, Fabio Restrepo, à qui il avait acheté 14 kilogrammes. En mai 1976, lui et plusieurs de ses hommes sont arrêtés en possession de 39 kilos de cocaïne cachée dans les pneus de leur camion qui passait la frontière entre le Pérou et la Colombie. Escobar tente de corrompre sans succès les juges saisis de l’affaire. Après plusieurs mois d’instruction, Escobar fait assassiner les deux policiers qui l’ont arrêté, si bien que les charges sont abandonnées.

Dès lors, il tente de soudoyer systématiquement les représentants de l’autorité ou de les tuer. Son frère Roberto affirme que Pablo se lança dans le trafic de cocaïne simplement parce qu’avec un chargement de poudre, il se faisait plus d’argent qu’avec un chargement de cigarettes ou de 40 boissons alcoolisées et que la contrebande par la route était devenue trop dangereuse. À cette époque, il n’y a pas de cartels de la drogue mais seulement quelques barons et ce “marché” est considéré comme en pleine expansion. Il est le pionnier dans l’usage de “mules”, c’est-à-dire des personnes volontaires ou non qui passent les frontières l’estomac rempli de capsules de caoutchouc remplies de cocaïne. Ces capsules sont récupérées en étant évacuées par les voies naturelles.

Bientôt, la demande de cocaïne explose aux États-Unis et Escobar organise plus de transports à travers son réseau de distribution en Floride du Sud, en Californie et dans d’autres parties des États-Unis. Lui et Carlos Lehder travaillent ensemble pour trouver un endroit intermédiaire entre les États-Unis et la Colombie afin de transborder la marchandise. L’endroit est une île située dans les Bahamas, appelée Norman Cay. Carlos et Roberto Vesco achètent la plupart des terres de l’île qui comprend une piste d’atterrissage de 400 mètres, un port, un hôtel, des maisons, des bateaux, des avions et ils font même construire un entrepôt réfrigéré pour stocker la cocaïne. De 1978 à 1982, elle est une route de contrebande centrale pour le cartel de Medellín (d’après son frère, l’île de Norman Cay n’a jamais appartenu à Pablo Escobar mais seulement à Carlos Lehder). Escobar est en mesure d’acheter les 20 km2 de l’Hacienda Nápoles pour plusieurs millions de dollars. Il y créé un zoo, un lac et d’autres attractions pour sa famille et son organisation. À une certaine période, entre 70 et 80 tonnes de cocaïne sont expédiées de Colombie vers les États-Unis chaque mois.

Pablo Escobar est élu en 1982 comme député adjoint/alternatif à la Chambre des Représentants au Congrès Colombien dans les rangs d’une dissidence du Parti libéral Colombien mais son élection est finalement invalidée pour financement illégal de sa campagne. Propriétaire d’un journal et d’une radio, il bénéficie d’une grande popularité auprès de la population pauvre de Medellín. Il est l’instigateur de l’opération « Medellín sans taudis ». En redistribuant une partie de ses gains mal-acquis, il fait construire 500 maisons sur le versant-est de la vallée de Medellín. 25 ans plus tard, plus de 3 000 maisons sont construites. Mais ce quartier n’a pas d’existence juridique car Escobar n’a pas respecté les règles administratives10. Il fait aussi construire des routes, des écoles, des stades de football, des hôpitaux et devient par là même un héros pour les pauvres alors mal informés de la réalité du personnage. Ainsi, même quinze ans après sa mort, en 2008, il est encore idolâtré par certaines personnes, comme Olga Gaviria, une des personnes pauvres choisie pour habiter une des maisons construites par le parrain10. La population de Medellín lui étant pour la plupart acquise, elle cache des informations à la police et fait ce qu’elle peut pour le protéger.

Durant les années 1980, Escobar et le cartel de Medellín deviennent célèbres. Le cartel de Medellín contrôle la plupart des entrées de cocaïne aux États-Unis, au Mexique, à Puerto Rico et en République dominicaine. La cocaïne provient essentiellement du Pérou et de Bolivie. La cocaïne de Colombie est alors considérée de qualité inférieure. Son réseau de distribution s’étenda jusqu’en Asie.

La corruption et l’intimidation caractérisent la relation entre le système Escobar et les autorités colombiennes. Son système implacable vis-à-vis des autorités se résume à l’expression “Plata o Plomo” (littéralement, “l’argent ou le plomb”), ce qui signifie : soit tu acceptes l’argent soit tu prends une balle. Escobar terrorise le pays à partir de 1984, ce système entraînant la mort de milliers de personnes, dont des civils, des policiers, des journalistes et des représentants de l’État. Le bras droit d’Escobar, Jhon Jairo Velásquez, a lui-même reconnu avoir organisé les meurtres de 3 000 Colombiens11. En même temps, Escobar soudoye de nombreux fonctionnaires, juges et autres politiciens.

Il continue à assassiner juges, policiers, journalistes et hommes politiques. Il est condamné pour avoir tué lui-même un peu plus de 100 personnes. À lui tout seul, il est responsable de l’assassinat de trois des cinq candidats à la présidentielle colombienne de 1989, dont Luis Carlos Galán. Il est aussi responsable de l’explosion de l’Avianca Flight 203 et du plastiquage du DAS Building à Bogota en 1989. Le Cartel de Medellín est en guerre pour le contrôle du trafic de stupéfiants contre le Cartel de Cali durant la plus grande partie de son existence. Escobar a peut-être eu un rôle à jouer dans la Prise du palais de justice de Bogota par un groupe para-militaire d’extrême-gauche, la M-19. Cette attaque, qualifiée comme l’un des événements les plus marquants de l’histoire de la Colombie se soldant par l’assassinat de la moitié des juges de la Cour suprême. Le rôle supposé d’Escobar aurait pour origine la défense de ses intérêts car la Cour suprême traitait avec les autorités américaines pour leur livrer tous les principaux trafiquants de drogue.

Cette année-là, il se réfugie quelques mois au Nicaragua