Devoir de réserve et expertise en bibliothèque

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Petite réaction au billet de Calimaq au sujet du devoir de réserve et des droits et obligations des fonctionnaires.

  1. [Rappel] Anne-Sophie Chazaud est rédactrice en chef du Bulletin des bibliothèques de France depuis 2014. Conservatrice des bibliothèques, elle a pris à plusieurs reprises des positions politiques sur sa page Facebook (accessible publiquement), sur laquelle elle indiquait également, jusqu’à l’émergence d’une polémique, son affiliation professionnelle (redactrice en chef du BBF, ENSSIB). L’un de ces propos a été relayé et critiqué sur la page d’un groupe public Facebook (“Tu sais que tu es bibliothécaire quand…” ici).
  2. Plusieurs sites web s’en sont fait l’écho (Archimag, Actuallité, Livres Hebdo). Polémique et échos journalistiques ont incité le directeur de l’Enssib, Yves Alix, à publier une mise au point officielle.
  3. Bibliothécaires, professionnel.l.es de la profession, journalistes et blogueurs ont rapidement livré leur point de vue, tantôt sur le fond des propos tenus par Anne-Sophie Chazaud, tantôt sur la mise au point officielle de l’employeur de la rédactrice en chef. L’essentiel des échanges a eu lieu me semble-t-il sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter pour ce que j’en ai vu).
  4. Tout part (à mon niveau) de Lionel Maurel (Calimaq), qui a écrit un billet sur – ou plutôt à partir de cette polémique. A l’image de Lionel, que je paraphrase ici sans vergogne en détournant quelque peu son propos, je n’ai pu m’empêcher de m’interroger en lisant ces billets et ces commentaires, et il m’a fallu plusieurs jours (et aussi quelques kilomètres de course à pied et de natation) pour commencer à élucider l’origine de ces interrogations.
  5. Le devoir de réserve, c’est l’entrée privilégiée par Calimaq – par laquelle il commence son billet en tout cas. Je cite : ” Il est certain que son cas [celui d’Anne-Sophie Chazaud] soulève une telle question [celle du périmètre du devoir de réserve], mais même si je désapprouve complètement le fond de ses propos, je me sens assez illégitime pour lui faire ce type de reproches.” Lionel explique ensuite (je résume) qu’à son niveau, le professionnel et le militant s’entremêlent fréquemment  – inextricablement, même – et à qu’à ce titre, ce devoir de réserve, il l’a souvent enfreint (“je ne me suis en effet jamais senti véritablement lié par le devoir de réserve”).
  6. Existe-t-il des spécialistes du Web ? Je veux dire, des expert.e.s qui, par leurs études, leurs observations et leurs publications, sont reconnu.e.s par le grand public, les journalistes et/ou la communauté scientifique, comme des personnes capables d’expliquer le fonctionnement du web ? Si oui, sur quoi fondent-ils.elles leur expertise ?
  7. Jusqu’en 1991, les soviétologues constituaient une communauté scientifique reconnue. Economistes, historiens, journalistes parfois, russophones en tout cas, ils.elles avaient développé un savoir, des savoir-faire liés à des terrains spécifiques. La chute de l’URSS a aussi constitué un drame scientifique –  je me souviens avoir personnellement contribué à la tragédie soviétique en supprimant méthodiquement des collections, dans un précédent poste, les différentes éditions de l’Economie de l’URSS de Pierre George.
  8. Je ne suis pas sûr que le Web, malgré toutes les révolutions qu’il implique, provoque l’apparition d’une nouvelle discipline scientifique. Ou alors ce sera à l’image des sciences politiques ou des sciences de l’éducation. Webologie ? Internet studies ? La page (exclusivement anglophone que consacre Wikipédia à ces dernières invitent, par sa concision et son unilinguisme, à aller voir ailleurs (sur le site de l’International Journal of Internet Science, par exemple ou encore sur celui de Futur Internet, “a scholarly open access journal on Internet technologies and the information society, published quarterly online by MDPI“). Sciences de l’information et de la communication ? Médiologie ? Sciences de l’information et des bibliothèques ? J’ai personnellement du mal à voir en quoi ces sciences-là, quand elles sont bien faites, se distinguent de l’histoire, de la sociologie, de l’économie ou du droit.
  9. Mais je pose sans doute mal la question : “le web”, en tant que terrain (terrainS), appelle-t-il, du point de vue des SHS, de nouvelles méthodes, voire une nouvelle épistémologie ? Des humanités numériques ?
  10. Sans doute, peut-être : je ne sais pas. Par contre, ce que j’arrive aujourd’hui à identifier, ce sont des personnes dont les analyses et le regard sur le web me semblent pertinents. Un peu de name-dropping, non hiérarchisé, partiel, partial : Dominique Cardon et Antonio Casilli (en sociologie), Xavier de La Porte et ses chroniques quotidiennes sur France Culture, les journalistes de Pixel pour les médias, Nicolas Morin et Lionel Maurel en bibliothèques… Ces gens-là, quand je les lis, j’ai toujours l’impression d’être un peu moins bête en changeant d’onglet – heureusement, ça ne dure jamais longtemps.
  11. Retour à S.I.Lex. C’est vrai que ce “carnet de veille et de réflexion d’un juriste et bibliothécaire” contient des prises de position, avec lesquelles je ne suis pas toujours d’accord, tant sur le fond que sur la forme – pour autant que je puisse avoir un avis ou une expertise sur ces sujets, ce qui m’arrive rarement finalement. Mais avant de traduire les prises de position d’un militant du libre, S.I.Lex me semble être, d’abord, un outil d’analyse des évolutions du droit sur le web. Beaucoup de gens peuvent avoir une opinion en matière juridique. Peu sont capables d’argumenter rationnellement, de commenter des textes, d’en rappeler l’histoire, de les comparer à d’autres traditions juridiques. Or ce que fait à son échelle, en temps réel, Lionel Maurel, c’est bien de construire un corpus d’analyse juridique. Militant, Calimaq ? Sans aucun doute. Mais il me semble que ce militantisme, Lionel Maurel le fonde en tant que ” personnel scientifique des bibliothèques” (règlementairement en tout cas).
  12. Je ne connais pas le h-index de Lionel et n’ai pas pris la peine de voir s’il était cité dans des revues de droit. Mais en tant que professionnel des bibliothèques, son expertise juridique ne fait aucun doute. Quand il intervient, j’ai plutôt le sentiment que c’est en tant qu’expert spécifique, sur des sujets précis, situés (“la théorie n’exprimera pas, ne traduira pas, n’appliquera pas une pratique, elle est une pratique. Mais locale et régionale : non totalisatrice“. Foucault, Dits et écrits, 1994, tome 2, p. 308 ; cité par Daniel Mouchard). Un peu comme un Calenge, quand il écrivait sur la politique documentaire.
  13. Peut-être qu’un jour son autorité de tutelle ira lui chercher des noises sur ses prises de position, les copies parties, les archives ouvertes, etc. Si celles-ci restent dans le périmètre de compétence de Lionel, je ne serais pas prêt cependant à miser sur les chances de l’Administration.
  14. Vous avez lu comme moi le commentaire d’Anne-Sophie Chazaud. J’en reprends les premiers mots : “A la préfecture du Rhône, comme en toute autre, où l’on se rend pour faire des documents administratifs pendant d’interminables heures, on se retrouve à côté de toutes les personnes qui viennent pour les titres de séjour, naturalisations, etc. On est alors suffoqué par la quantité de femmes voilées de pied en cap, ou juste en cap, par le comportement bruyant et arrogant de nombreux requérants […]”, source).
  15. A.-S. Chazaud n’a pas écrit “A la bibliothèque municipale de Lyon”, mais “A la préfecture du Rhône”. Son point de vue est très situé (dans l’espace et dans le temps). Mais c’est celui d’une simple quidam, pas d’une professionnelle des bibliothèques. Or, il existe une actualité professionnelle très riche en matière de d’intégration (ou de refus d’intégration) des populations immigrées : aux Etats-Unis, dans les pays nordiques et ce bien avant la vague de migration provoquée par le conflit syrien ; l’IFLA a produit en 2015 un manifeste ; le Guichet du savoir lyonnais s’est même fendu d’une réponse à une question sur ce thème ; un jeune professionnel plein d’avenir y a même consacré un mémoire professionnel
  16. Ce à quoi l’on aurait pu s’attendre de la part d’un.e professionnel.le, c’est un point de vue professionnel, étayé par une expérience, un regard réflexif sur une pratique, une ou des études de cas, des observations relevées selon une ou des méthodes précises, etc. En tant que professionnel, la question de la place des religions et de la laïcité en bibliothèque universitaire m’intéresse beaucoup (des choses intéressantes ici). Mais je ne doute pas qu’un prochain numéro du BBF porte justement sur ce thème.
  17. Note méta : le présent billet relève bien de la catégorie “Café du commerce” : je n’ai aucune compétence ou expertise particulière. Cent quarante signes me paraissaient un peu court.

La mise en ligne des mémoires, un (autre) exemple de régression électronique

Lionel Maurel a publié un chouette billet sur la notion de “régression numérique” appliquée aux thèses électroniques, en complément d’une autre (et tout aussi intéressante) analyse d’Olivier Legendre. J’en profite pour apporter une précision concernant non plus les thèses, mais les mémoires.

Nous travaillons depuis 2012 à l’université d’Angers sur un site de diffusion des mémoires (de la L2 à la thèse d’exercice, en passant par les M1 et M2), Dune. Et le principal problème que nous rencontrons concerne les mémoires professionnels. Ces travaux n’ont pas souvent une portée scientifique conséquente mais sont en revanche extrêmement utilisés par les étudiants des filières concernées. La vocation utilitariste est clairement assumée, l’étudiant.e cherchant de “bons mémoires” dont il.elle pourrait s’inspirer – je laisse ici tout la problématique liée au plagiat. C’est la raison principale pour laquelle nous n’avons pas utilisé la plate-forme DUMAS, qui ne nous permettait pas de gérer au plus près le dépôt de mémoires à diffusion restreinte.

Cependant, la diffusion est bien souvent interdite par l’entreprise accueillant le.la stagiaire. Il semble bien que les droits d’auteur appartiennent à l’entreprise plus qu’au rédacteur.trice du mémoire – c’est en tout cas ce que nous a indiqué le service juridique de l’université. De fait, la crainte d’une diffusion des données entraine bien souvent un refus d’accepter la mise en ligne sur internet ou en intranet, voir d’être déposé tout court, même en restant confidentiel. Nous recevons parfois des formulaires d’autorisation de mise en ligne sur lesquels une main (anonyme) a ajouté : “Détruire le PDF”.

Nous n’avions évidemment pas ce type de difficulté avec les mémoires déposés sous forme papier, l’entreprise n’allant pas vérifier dans les magasins des bibliothèques si des données les concernant s’y trouvaient…

Actuellement, nous sommes dans une phase de flottement, certaines filières ou écoles (d’ingénieur notamment) ayant abandonné le dépôt papier mais ne diffusant pas sous format électronique. Un des effets pervers est la multiplication des petits serveurs (ou même ordinateurs) fantômes, destinés à stocker de manière officieuse, par les enseignant.es, les mémoires en question. Toutes les disciplines sont concernées, dès lors qu’un mémoire professionnel est réalisé : traductologie, GEA, négociateur trilingue, archives… Bref, nous avons reproduit, sous une autre forme, la fameuse étagère-pleine-de-cartons-remplis-de-mémoires-stockés-dans-le-bureau-A12.

A cela, on pourrait ajouter les problématiques d’archivage, les mémoires ne relevant pas du même régime juridique que les thèses. Il existe donc actuellement un double circuit : électronique, imparfait, et papier, avec échantillonnage et stockage aux archives départementales… Nous n’avons pour l’heure pas de solution toute faite mais des pistes de travail.

En premier lieu, il est déjà possible de déposer sur Dune un mémoire confidentiel mais d’autoriser la diffusion d’un diaporama présenté lors de la soutenance. Ces dernières ne prévoient cependant pas toutes ce type de support, qui peut le cas échéant contenir des données confidentielles.

Nous pouvons en outre jouer sur la diffusion différée : les données d’une entreprise sont certes confidentielles à un instant T, mais sans doute beaucoup moins dans un, deux ou trois ans. Sauf que le mémoire, l’étudiant.e cherche à le consulter tout de suite et pas dans trois ans.

Une autre solution serait de limiter l’accès aux données. Actuellement, il existe trois niveaux de consultation : web ouvert, web ouvert aux seuls membres de la communauté universitaire angevine, administrateur. Une demande forte de la part de certains départements est de limiter l’accès aux seul.e.s inscrit.e.s de ce département. Ce pourrait être une solution, et nous y viendrons peut-être… avec le risque d’une multiplication des exceptions, du type “Accès réservé aux étudiants de M2 de la filière psychologie”.

Nous pourrions enfin envisager la mise en place d’un bouton “demander ce mémoire”. Le problème ici est que les étudiants sont généralement en fin de parcours universitaire et vont quitter l’établissement, posant la question de la pérennité de leur adresse mail. De surcroît, l’entreprise devrait avoir son mot à dire dans l’autorisation de diffusion à un particulier…

Bref : il n’y a pas de solution simple. Tout n’est cependant pas négatif, car le circuit tel qu’il fonctionne actuellement permet une diffusion plus large des travaux en santé (médecine, sage-femme, pharmacie) ou en SHS.

Anti-plagiaires de tous les pays…

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J’ai eu l’opportunité d’assister récemment à une présentation du logiciel de similitude (ou logiciel antiplagiat) Ephorus, mis en test récemment par l’université. L’outil et ses usages appellent quelques remarques, que je vous livre en vrac – sachant, comme d’habitude, que je ne suis pas spécialiste du sujet et que je n’en maîtrise pas les tenants et aboutissants techniques. Remarques, corrections et commentaires bienvenus… mais prenez soin de lire le billet de Jean-Noël Darde consacré à ces logiciels: il pose très clairement de nombreuses questions.

  1. Rappel sur le fonctionnement d’un logiciel de similitude: comme l’explique très bien Jean-Noël Darde, cet outil est “en mesure de comparer le texte qu’on lui soumet pour contrôle, d’une part à l’ensemble des textes en libre accès sur Internet et d’autre part à un stock de textes numérisés que les promoteurs du logiciel ont constitué —  notamment avec des travaux, thèses et articles déjà contrôlés.”
  2. Première question: dans quoi vont “taper” les logiciels de similitude ? Tout d’abord, dans une partie du Web visible (et non pas dans “Internet”). Pour Ephorus comme pour d’autres logiciel, ce sont les algorithmes de Google qui vont être utilisés. Google, mais pas Google Scholar ou Google Books. De même, les ressources électroniques payantes ne sont pas analysées (Science Direct, Jstor, etc.). Gallica, Europeana non plus. Dommage…Il ne s’agit pas d’une spécificité d’Ephorus; visiblement, aucun outil sur le marché ne permet ce type d’analyse (on le comprend: imaginons plusieurs milliers de requêtes simultanées dans les bases au moment du dépôt des mémoires, entre juin et septembre… Outre l’accord technique des éditeurs, cela serait fatal à certains serveurs, déjà pas bien vaillants). Il me semble que cela limite la portée de l’outil aux étudiants les plus paresseux (ou les moins inventifs) et on peut penser (ou, tout du moins, espérer) qu’un étudiant de master ou de thèse sera un peu plus malin.
  3. A moins que… personnellement moi-même, si j’étais un grand groupe éditorial scientifique, ayant déjà une position monopolistique sur le marché, ayant déjà acquis un concurrent de Zotero, je jetterais un œil gourmand sur ces entreprises en pleine expansion. Je serais ainsi en mesure de proposer aux universités un spectre bien plus large de sources potentielles. Ou alors, on aurait dit que je me serais appelé Google et que j’aurais tué net le marché en proposant ma propre offre, gratuite pour les individuels (freemium) et payantes pour les institutions (premium). Vu la puissance de frappe de Google, vu que ces logiciels doivent sont dépendants d’un seul et unique moteur de recherche (le mien), je ne vois pas pourquoi je me priverais.
  4. Reste que les logiciels de similitude ne vont pas seulement chercher dans le web visible. Ils vont également interroger une base constituée des travaux déjà déposés par les étudiant.e.s. Deux choses à noter :
    1.  la base (et le serveur ad hoc) sont, dans le cas d’Ephorus, localisés aux Pays-Bas.
    2. Un document déposé ne peut pas être effacé des serveurs d’Ephorus (source: tutoriel Ephorus réalisé par l’université d’Angers).
  5. Je suppose que les services juridiques des universités ont épluché comme il faut les clauses (que j’imagine) léonines des contrats et que, en cas de changement de prestataire, l’université reste propriétaire de la base.
  6. La question ultrasensible de la confidentialité et de l’innovation a également été prise en compte puisque l’on a la possibilité, dans Ephorus, de ne pas mettre un mémoire dans la base commune. Je ne sais trop quoi penser de cette limitation (ces travaux confidentiels n’auraient jamais été diffusés dans tous les cas ; je ne peux m’empêcher de penser qu’il y malgré tout une circulation officieuse de certains de ces travaux).
  7. J’écris sans doute une grosse bêtise, mais développer un outil en interne, est-ce si compliqué ? Comme me le souffle un estimé collègue,

    Et une licence nationale ? Usine à gaz technocratique ?

  8. J’ai l’impression, pour conclure, qu’une partie des enseignants-chercheurs voit dans ce produit la réponse à un problème qui, apparemment (mais comment le prouver?), augmente d’année en année. J’aurais plutôt tendance à penser que la solution a toujours été et reste entre les mains (et dans les têtes) des enseignants eux-mêmes. Comme l’écrit encore Jean-Noël Darde, “le contrôle a priori et systématique revient non seulement à faire du soupçon la règle, mais à déléguer à ces logiciels ce qui est du ressort normal de la compétence des universitaires : compétence à diriger, lire, évaluer des travaux de recherche sur la base d’une connaissance des domaines dans lesquels tel universitaire accepte d’intervenir et d’être évaluateur.” En la matière, je pense que ce qu’il manque le plus à nos collègues, ce sont moins les compétences et l’envie que le temps.

Ouvrir l’accès aux ressources électroniques aux entreprises privées: le pour et le contre

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[10/10/2013, 21h00: Mise à jour en fin d’argumentaire, la discussion s’étant poursuivie en interne]

Petite synthèse de quelques échanges sur Twitter sur le thème: faut-il que les BU proposent des abonnements institutionnels aux entreprises, afin que celles-ci puissent accéder aux ressources électroniques ? [merci @dbourrion, @lully1804, @bbober @st_b, @mpuaud, @NaCl2 et @Nico_Asli pour le débat et les remarques]. Réflexion née d’une demande d’une PME angevine souhaitant accéder au WoK et à Science direct. Sachant, bien évidemment, que l’accès aux ressources papier ne motive pas ou peu ce type de demande.

Pour :

  1. Ouverture des BU à d’autres publics que son cœur de cible officiel.
  2. Permettre l’accès à un coût abordable à la recherche publique, pour favoriser le développement du tissu économique local. Après tout, des BU (mais pas celle d’Angers) proposent bien des abonnements gratuits ou moins chers aux chômeurs, pourquoi pas aux entreprises ? D’autre part, si une université parvient à créer des incubateurs d’entreprise, il ne serait pas aberrant que ces dernières puissent accéder, sous condition, aux ressources électroniques.
  3. En période de vaches maigres, permettre une rentrée d’argent supplémentaire, le coût d’un abonnement pour une institution étant supérieure à celle d’un particulier (le double à la BU de Nice, par exemple).
  4. Individuellement, on sait (à Angers en tout cas) que des salariés d’entreprises ont pris des abonnements (cabinet d’avocat, par exemple) payants. Il s’agirait d’officialiser une pratique officieuse.

Contre :

  1. La mission première d’un service public de l’enseignement et de la recherche est de desservir ses publics cibles (étudiant.e.s et EC), pas des entreprises privées.
  2. On a encore bien du mal à proposer des services tout à fait optimaux : avant de songer à élargir à qui que ce soit, faisons déjà en sorte que nos usagers soient satisfaits.
  3. Si l’on pratique un surcoût, il faut le justifier par une qualité de service disons… supérieure ou, à tout le moins, différente. Pour pousser la logique jusqu’au bout, en cas de difficulté d’accès (un éditeur comme Dalloz nous a posé souvent problème ces deniers mois), l’entreprise serait en droit demander des compensations.
  4. Les entreprises privées peuvent très bien souscrire un abonnement à des éditeurs. Certains cabinets d’avocat le font. Si c’est trop cher, rien ne leur interdit de s’associer.
  5. Les contrats des éditeurs ne prévoient pas ce type d’abonnement, on serait probablement dans l’illégalité.
  6. Quelle politique tarifaire appliquer ? Le double d’une inscription classique semble peu onéreux par rapport à ce que nous coûtent ces ressources.
  7. [MàJ du 10/10/13 : plutôt que de proposer de l’accès brut, il serait sans doute plus pertinent de travailler, en BU, avec les services de formation continue. L’accès aux ressources, sous forme individuel, serait couplé à une politique de formation active… et à d’autres services: des espaces de réunion, des ordinateurs, un fablab, des bibliothécaires (si, si) que sais-je encore, le tout ouvert aux chômeurs, aux auto-entrepreneurs ou aux PME n’ayant pas les moyens de payer l’accès aux ressources électroniques].

Voilà. A Angers, la réponse sera donc pour l’instant négative, sachant que les inscriptions individuelles (34 euros) sont toujours possibles. Remarques, questions et prises de position bienvenues.

La pédagogie en premier cycle universitaire, un truc d’enseignante-chercheuse, vraiment ?

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[billet 1/ bien trop long, désolé; 2/au féminin neutre, pour @carenes et son prof de latin]

Via Baptiste Coulmont (@coulmont), découverte du blog de Daniel Little, professeur de sociologie à l’université du Michigan. Dans son dernier billet, au titre évocateur (“Decline of French universities“), celui-ci revient sur un élément qui, à ses yeux, pose un grave problème dans les universités françaises: le “manque général d’intérêt pour la réussite des étudiants de premier cycle […]”.

L’auteur pointe du doigts plusieurs problèmes, notamment le manque de moyens, le poids de la recherche au détriment de l’enseignement en premier cycle ou l’absence et/ou le manque d’investissement, tant dans la vie institutionnelle des facultés que dans le suivi pédagogique, des turbo-profs parisiennes.

Des commentatrices ont confirmé ou nuancé des explications. L’une a ainsi témoigné du délabrement des locaux de Paris 8 (alors que tout le monde sait, comme le dit ma patronne, que dans les services, qu’ils soient publics ou privés, l’accueil commence dans les toilettes); une autre conteste le rôle prétendument néfaste des turbo-profs (oui, en SHS, si l’on veut vraiment faire de la recherche, il n’y a pas d’autre bibliothèque digne de ce nom, en France, que la BnF, sise jusqu’à preuve du contraire dans le 13ème arrondissement de Paris. Et non, les enseignantes locales ne sont pas forcément les plus impliquées que les parisiennes, etc.).

Mais la principale nuance apportée en commentaire portait sur un point présenté comme central pour comprendre les spécificités du premier cycle universitaire français: la présence d’un système à deux vitesses, avec d’un côté l’ensemble classes prépa/IEP/IUT/BTS, qui siphone littéralement les meilleures élèves après le bac, et de l’autre le licences universitaires, qui acceptent sans sélection toutes celles qui n’ont pas trouvé de place ailleurs.

Au risque de caricaturer les opinions des unes et des autres, on pourrait dire que, pour D. Little, le problème viendrait 1/ du manque de moyens et 2/ des enseignantes-chercheuses elles-mêmes. Pour les commentatrices, la source de l’échec de l’enseignement en licence viendrait 1/ du manque de moyens et 2/ d’un problème structurel d’organisation du premier cycle universitaire, qui aspire tous les bons éléments hors de la fac. Pour D. Little, les EC ont une responsabilité directe. Pour les commentatrices, aucune.

Prenons le problème par un autre bout et mettons nous dans la peau d’un homo economicus standard. Quelles incitations sélectives pourraient pousser une jeune maîtresse de conférences à s’investir dans l’encadrement pédagogique des premières années de licence ? Pour le dire vite, M. Olson distingue les incitations sélectives positives des incitations négatives. Les premières consistent en des formes de rétributions (symboliques ou matérielles) qui incitent les individus à accepter la tâche qui leur est confiée parce qu’ils en retirent un bénéfice. Les secondes reposent plutôt sur la contrainte: j’ai tout intérêt à faire ce que l’on me dit de faire, sinon je risque d’en payer les conséquences par une amende, l’ostracisme du groupe, etc.

Une maîtresse de conférences n’a généralement guère le choix quand elle arrive en poste: à elle les responsabilités des premieres cycles et, en particulier des L1 et L2, ou encore de la méthodologie du travail universitaire, la MTU. Elle le fait parce que cela fait partie du contrat implicite, parce que refuser impliquerait de se mettre à dos ses collègues, parce qu’ elle n’est pas encore en mesure de pouvoir refuser l’autorité de la directrice du département ou de l’UFR, parce qu’elle n’a pas encore tout à fait conscience de la charge de travail que cela représente, et parce que prendre une telle responsabilité peut être tout simplement attrayant intellectuellement, quand on ne l’a jamais fait.

Au bout de quelques années, avec l’expérience, la prise d’assurance, l’observation que des collègues s’en tirent mieux (eh oui: il est plus facile d’inclure ses travaux de recherche dans un séminaire de M2 que dans le cadre d’un cours magistral d’introduction à [mettre ici l’intitulé de votre choix]), le constat que la volatilité des étudiantes de L1 est forte et les taux d’échec importants, malgré un investissement pédagogique considérable… Notre maîtresse de conférences profitera de l’arrivée de petites nouvelles pour leur refiler le bébé. C’est de bonne guerre.

Disons plutôt que c’est rationnel dans un système universitaire où l’investissement pédagogique ne fait l’objet quasiment d’aucune rétribution (ce que D. Little souligne quand il écrit qu'”une autre partie de problème réside dans la place importante accordée à la recherche au détriment de l’enseignement” – “Another part of the problem is an over-emphasis on research over teaching“) et qu’une EC sait parfaitement que son évaluation ou sa mobilité géographique dépendra uniquement du nombre et de la qualité de ses publications.

Prenons le problème par un autre bout encore: celui des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). On pourra certes juger que la réussite des étudiantes qui en sortent s’explique notamment par la sélection (on ne prend que les meilleures) et par l’importance des moyens accordés (13880 euros en CPGE contre 9280 US dollars pour une étudiante à l’université [sources]). Tout cela est vrai. On pourrait y ajouter une autre raison, en affirmant par exemple que les enseignantes de classe prépa sont tout simplement meilleures que leur collègues d’université. Cela, impossible de le juger objectivement: il s’agit juste, à ce niveau, d’appréhender les raisons d’une présence ou d’une d’une absence d’engagement dans l’aspect pédagogique de l’enseignement supérieur. On imaginera plutôt, toujours avec M. Olson, que les incitations sélectives accordées aux enseignantes en classes prépa pour s’investir dans le suivi pédagogique sont supérieures à celles des EC à l’université.

Une telle affirmation pose évidemment problème, car les profils des enseignantes ne sont pas les mêmes. D’un côté, des professeures de chaire supérieure, agrégées presque systématiquement passées par les lycées et, parfois, le collège, qui n’ont pas d’obligation de mener des activités de recherche, et qui ne s’en préoccupent guère. De l’autre, des titulaires d’un doctorat, souvent aussi agrégées, mais dont l’évolution de carrière dépend uniquement des publications. D’un côté, la classe prépa représente le bâton de maréchal, (ce document syndical pose très bien les enjeux, quand il précise notamment que “les nominations de collègues de moins de 40 ans restent peu nombreuses et témoignent souvent de services exceptionnels rendus à l’Institution“). De l’autre, la responsabilité d’une L1 ou une L2 est peu valorisée au sein des universités et arrive en tout état de cause en début de carrière.

Que faire alors ? On pourrait imaginer au moins deux scénarios: soit valoriser les fonctions pédagogiques (par le salaire notamment) pour les EC de l’université, soit réserver l’enseignement en L1 et L2 aux professeures de chaire supérieure ou à des PRCE (qui enseignent également en BTS, faut-il le rappeler). Si l’on penche pour le second scénario, on constate qu’après tout, Galaxie proposait rien moins que 557 postes de PRAG et PRCE au mouvement dans le supérieur, en 2012. Certaines universités proposent des fiches de postes qui affichent clairement la couleur: recruter une enseignante-chercheuse, faisant le travail d’une enseignante-chercheuse, mais… sans la recherche. Je vous laisse apprécier celle-ci:

Vu les effectifs importants inscrits dans la filière Langues Etrangères Appliquées de l’Université de xxx (plus de 1 500 étudiants, dont 1 000 environ ont choisi l’espagnol), le déficit en enseignants titulaires en Espagnol / LEA est considérable. Ce poste de PRAG viendra opportunément renforcer ce pôle enseignants en Espagnol /LEA. Le professeur agrégé recruté interviendra pour moitié environ sur chacun des deux sites de xxx et de yyy. Il y assurera pour l’essentiel des cours de Traduction (Thème, Version et Traduction orale), mais il pourra, en fonction des besoins, être mis à contribution pour des enseignements en Langue de Spécialité et en Civilisation. Il devra également prendre en charge des tâches administratives et participer à l’encadrement de stages d’étudiants en Master. Une bonne connaissance de la filière et une expérience préalable en LEA seront appréciées.

Bien entendu, un tel système viendrait ajouter un étage hiérarchique à l’actuel, qui fonctionne à deux vitesses (maîtresse de conférences/professeure d’université). Il aurait au moins le mérite d’officialiser ce qu’une bonne partie de l’institution universitaire a bien compris: on n’a pas besoin de faire de la recherche pour bien enseigner en premier cycle universitaire.

 

 

Service de renseignement présentiel – Le grand flou

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A la suite de la réorganisation du service public à la BU Belle-Beille (j’y reviendrai), je me suis mis en tête d’assurer à mes collègues une formation sur le service de renseignement présentiel.
Chemin et réflexion faisant, l’objectif initial – former aux outils – s’est transformé. Expliquer le fonctionnement des ressources électroniques, comme on le (comme je l’ai) fait souvent en BU, ne suffit pas: il m’a paru nécessaire de travailler en amont sur les missions et objectifs d’un tel service, à l’heure où les SRV (services de renseignement virtuels comme Ubib, Rue des facs ou les Guichets du savoir) occupent le devant de la scène.
Le résultat a donné un support ainsi que plusieurs discussions animées avec les collègues. L’essentiel résidant dans les secondes plus que dans le premier, j’en parlerai prochainement.