Le mythe de Gaïa : expliquer la relation entre humain et nature chez les Grecs

Les 10 et 11 octobre 2020, la bibliothèque universitaire Belle-Beille a accueilli le Village des sciences, proposé dans le cadre de la 29e édition de la Fête de la science. À 15h30, trois intervenants ont proposé une conférence-débat sur la relation entre les Hommes et la nature, par des discussions sur le mythe de Gaïa.

« De quoi Gaïa est-elle le nom ? » C’est avec cette question simple que William Pillot, professeur d’histoire ancienne à l’Université d’Angers a ouvert le débat. Entouré de Bertrand Guest, professeur de littérature comparée, et de Laure Brossin-Pillot, enseignante dans le secondaire, les trois conférenciers se sont lancés dans l’interrogation des relations entre l’Homme et la nature, incarnée par Gaïa, des sociétés antiques à nos jours. S’intégrant parfaitement au thème de la nature mis à l’honneur cette année lors de la Fête de la science, les trois présentations rapides des interlocuteurs ont rapidement fait naître un débat passionné et passionnant avec les auditeurs et spectateurs dans la salle.

Héraclite et Hésiode face à Gaïa

Pour répondre à sa question initiale, William Pillot cite Héraclite d’Éphèse, dit l’obscur. Ce philosophe grec du Ve siècle écrit beaucoup sur la nature et a particulièrement cette formule : « Phusis kruptesthai philei » sobrement traduite par « la nature aime à se cacher ». Autrement dit, la nature a des mystères qui sont inaccessibles au commun des mortels, il est donc du rôle des savants et des scientifiques de les expliquer et de les transmettre.

    William Pillot accompagné de Bertrand Guest et Laure Brossin-Pillot.
William Pillot accompagné de Bertrand Guest et Laure Brossin-Pillot.

Selon l’helléniste, on peut difficilement traiter du thème de la nature dans la société grecque antique, dont nous sommes les héritiers, sans parler d’Héraclite qui aurait écrit un traité nommé Sur la nature. Si l’on se fie à la légende, ce dernier aurait été offert à l’autel du temple d’Artémis d’Halicarnasse, une des sept merveilles du monde antique, qui abritait une statue de la déesse, bien loin des canons de beauté grecque. En effet, Artémis n’y était pas représentée en jeune femme svelte, aux courbes finement sculptées mais plutôt en une femme aux hanches larges rappelant les divinités du néolithique ou même une divinité primordiale : Gaïa. L’historien cite alors la Théogonie d’Hésiode, poète grec du VIIIe, pour brosser un portrait de ce qu’est Gaïa pour les Grecs. Gaïa « aux larges flancs », c’est la terre « offerte à tous les vivants » et qui se montre comme « une assise sûre à jamais ».

Cette terre qui appartient à tous les êtres qui la peuplent n’est pas sans rappeler les débats contemporains sur la place des animaux que certains réclament sur les plans politique et écologique.

William Pillot rappelle alors que Gaïa fait partie d’un trio de divinités primordiales : Chaos symbolisant le chaos organisé de l’univers, Gaïa et Éros, l’amour servant l’idée d’une union entre les deux premiers et permettant ainsi un équilibre à partir duquel peut se développer la vie. Gaïa n’est pas que la terre, ajoute-t-il, c’est une sorte de « Dame-Nature », qui engendre à la fois une nature considérée comme sacrée, des créatures sacrées pour la peupler et des concepts philosophiques comme le temps, la nature, la justice… : le logos.

L’historien souligne alors un point important : Gaïa est une divinité féminine polythéiste. Elle est au centre du monde et abrite la vie permettant un équilibre entre l’Homme et la nature. Il y a donc à cette époque, une dimension sacrée de la nature permettant l’union des deux. Selon William Pillot, l’apparition d’un monothéisme a sans doute mis à bas cet équilibre, passant de l’idée d’une biosphère à l’idée d’une domination de l’Homme sur la nature, Dieu ayant confié à l’Homme de dominer les animaux et la terre. William Pillot prend alors pour exemple les grands travaux de défrichement de l’époque moderne : la peur de la forêt et de tout l’imaginaire qui y est rattaché, conduit les hommes à vouloir la dominer, l’éradiquer pour laisser place à un espace maîtrisé et civilisé.

« Ce qui est vivant tend à disparaitre »

En conclusion, l’helléniste propose une nouvelle interprétation de la phrase d’Héraclite « Phusis kruptesthai philei ». N’oubliant pas de rappeler les problématiques écologiques actuelles, l’historien relie ainsi deux époques par une simple phrase aux interprétations différentes : « Ce qui est vivant tend à disparaître ».

Algue BOUCARD, Diwan LE RU

Pour approfondir :
 - Denis Chartier, « Gaïa : hypothèse scientifique, vénération néopaïenne et intrusion », Géoconfluences, octobre 2016.

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