Et si Néron n’était pas fou?

Après avoir récemment soutenu sa thèse en décembre 2017, l’enseignant-chercheur Pierre-Henri Ortiz a mis en lumière, à l’occasion de la Nuit européenne des chercheur·e·s à Angers, ses travaux novateurs sur la folie chez les Romains.

Le vendredi 28 septembre 2018 a eu lieu dans le forum du Quai à Angers la 14e Nuit européenne des chercheur.e.s coordonnée par l’association de culture scientifique Terre des sciences en partenariat avec l’Université d’Angers, la Maison de l’Europe d’Angers et l’Université Bretagne Loire (site d’Angers).
Pendant près de 6h, la soirée a été l’occasion d’exposer au public les travaux de chercheurs, qu’ils soient spécialisés dans le domaine de la santé, du végétal ou encore des sciences humaines.

Pierre-Henri Ortiz, membre du laboratoire de recherche THEMOS, devant son stand.
Pierre-Henri Ortiz, membre du laboratoire de recherche TEMOS, devant son stand.

En posant d’emblée la question « les Romains sont-ils fous ? », Pierre-Henri Ortiz, maître de conférences en histoire romaine à l’Université d’Angers, membre du laboratoire TEMOS, a présenté son travail de thèse d’une manière simple et ludique. Tout au long de la soirée, l’historien a fait découvrir son univers par le biais de quatre interrogations mêlant référence cinématographique, discussion animée et rire. Avec comme seul support un diaporama et de simples cartons, le jeune chercheur, en fin pédagogue, a su déconstruire certaine idées reçues sur l’Antiquité romaine.

« Pour les Romains la folie n’était pas une fatalité »

Dans la thèse qu’il a soutenue en décembre 2017, Pierre-Henri Ortiz a choisi d’étudier la folie et la maladie mentale dans l’Occident romain de l’époque républicaine (v. 500 av. JC) à l’aube de sa christianisation (v. 300 ap. JC). Il y remet le concept de la folie dans son contexte historique et dégage une certaine typologie de celle-ci (la maladie, l’ivresse, la déviance etc.). En abordant la question au travers des sources juridiques et médicales, le chercheur a expliqué aux visiteurs comment la justice et la médecine interprétaient et traitaient les cas de folie chez les Romains pour faire comprendre certaines évolutions mais aussi certains points communs avec nos sociétés contemporaines. Ainsi comme le dit Pierre-Henri Ortiz : « Pour les Romains la folie n’était pas une fatalité, mais un état temporaire et guérissable ».

S’écartant de toute conception ordinaire de la folie dans l’histoire, le chercheur déconstruit certains clichés selon lesquels les fous seraient exilés ou enfermés. C’est le livre de Michel Foucault en 1961, Histoire de la folie, qui a montré que la vision de la folie dépendait de la culture et de la société. Les fous n’ont pas toujours été considéré comme des malades mentaux dans l’histoire des hommes. Ils n’étaient pas toujours enfermés ou rejetés. « Au contraire, les fous avaient une place à part dans la société romaine, rajoute l’historien, jouissant même d’une certaine protection et d’une attention particulière ».

L’historien va jusqu’à relativiser la folie du très célèbre empereur Néron (54-68) qui n’était selon lui « pas plus fou qu’un autre ». La démarche du chercheur exposée tout au long de sa présentation amène en effet ses interlocuteurs à reconsidérer le sens mis derrière le mot de folie. Le public comprend ainsi rapidement que cet état souvent attribué à Néron servait ses successeurs qui souhaitaient le décrédibiliser et salir sa mémoire.

Ce dernier contre-pied historique est à l’image de ce qu’a exposé Pierre-Henri Ortiz lors de la soirée : une présentation simple et à la fois riche en informations, qui a pu parfois surprendre le visiteur.

Rémi FERNANDES, Safwane Galal MOHAMED,
Tristan GAUDICHEAU

En plus d’être maître de conférences en histoire romaine à l’Université d’Angers, Pierre-Henri Ortiz est aussi impliqué dans un site, nonfiction.fr, qualifié de « quotidien des livres et des idées » et dont l’un des projets est de « parler au public des productions scientifiques les plus récentes ». Il coordonne les nombreuses contributions et conçoit cette activité comme le complément du pur travail de recherche.

Dans la tête d’un doctorant en histoire

Le 28 septembre 2018 a eu lieu la 14e édition de la Nuit européenne des chercheur·e·s. À Angers, Le Quai a accueilli une vingtaine de stands. Parmi les visiteurs déambulant de table en table, il s’en est trouvé un pas tout à fait comme les autres. Mains dans les poches, Matteo Antoniazzi tourne autour de l’unité de recherche en histoire TEMOS qui l’accueille le temps de sa thèse de doctorat. Récit d’une rencontre avec un jeune chercheur.

Étudiant en lettres classiques à Pavie (Italie), Matteo Antoniazzi a développé une fascination pour l’Antiquité tardive. En troisième année de licence, cet engouement débouche sur la rédaction d’un mémoire. De fil en aiguille, le jeune Italien se spécialise dans l’étude religieuse de l’Antiquité tardive : un premier travail sur les conséquences du concile de Chalcédoine (451), puis un second sur la place du monachisme dans l’histoire ecclésiastique.

Matteo Antoniazzi
Matteo Antoniazzi

Ces travaux l’amènent à répondre à un appel à projets lancé par Philippe Blaudeau (professeur en histoire ancienne à l’Université d’Angers, membre de l’unité TEMOS). Matteo Antoniazzi retrouve alors la France, qu’il a déjà connu dans le cadre du programme d’échanges Erasmus, afin cette fois-ci de travailler sur les relations entre monachisme et pouvoir politique au Ve siècle. « J’étais le seul candidat », ironise-t-il pour expliquer sa sélection. C’est oublié qu’il a travaillé sur le sujet, ce qui est un argument non négligeable.

«Il n’y a jamais que la thèse»

Matteo Antoniazzi est donc à Angers depuis 2016 afin de rédiger sa thèse, sous la direction de Philippe Blaudeau et de Peter Van Nuffelen (professeur en histoire ancienne à l’Université de Gand, Belgique). Un travail de chaque seconde depuis deux ans. Par chance, le chercheur nous explique avoir des directeurs de thèses très à l’écoute, et ce malgré des emplois du temps extrêmement chargés.

L’étudiant avoue préférer travailler dans les murs de l’université. Cela l’aide à se concentrer. L’institution dispose par ailleurs de tous les outils dont il a besoin. À cela vient s’ajouter la communauté de doctorants, qui est « presque une communauté monastique », comme le souligne le jeune chercheur.

Il confie avoir une immense soif de lire, ce qui devient un problème : « il faut savoir s’arrêter », explique-t-il, sans quoi il est impossible d’écrire (l’écriture étant en soi un exercice difficile). Cela est d’autant plus important que le temps est compté. « Il n’y a jamais que la thèse ». Il faut partager son temps entre les travaux universitaires, les colloques et autres séminaires, les cours à donner, etc. Cela est particulièrement d’actualité, puisqu’il s’apprête à partir pour Édimbourg (Écosse) sur demande d’une unité de recherche locale. Il lui faudra donc mettre son travail entre parenthèses pour un mois.

Après deux ans de recherches non-stop, Matteo Antoniazzi entre dans la dernière ligne droite. En septembre 2019, il lui faudra soutenir sa thèse. Il entend ensuite la publier. Cependant, cette fin de doctorat est marquée par une interrogation : que faire après ? Chercher une place en université ? Entrer au CNRS ? Rester en France ? Tenter sa chance ailleurs en Europe ? Le futur docteur en histoire ancienne fait face à l’incertitude. Une chose est sûre : Matteo Antoniazzi entend bien « dormir pendant un mois » après avoir – enfin – soutenu cette thèse !

Matthieu CICHON  & Laurène GARREAU

Une chercheuse à l’écoute du consommateur

Avec 320 villes européennes, Angers a participé le 28 septembre 2018 à la 14e Nuit européenne des chercheur.e.s, au Théâtre Le Quai. Les chercheurs y ont rencontré le public pour échanger sur leur métier et leurs travaux. Le thème de cette année : “Mille et une histoires”. Comme celle racontée sur son stand par Corine P.

Corine est chercheuse. Angevine de souche, la quarantaine dynamique et souriante, elle a fait ses études à l’ESA (École Supérieure d’Agricultures), qui l’a ensuite recrutée. L’alimentaire, c’est sa passion depuis son enfance. « J’étais dans une famille où tout tournait autour de la nourriture. Et quand j’ai découvert l’analyse sensorielle, je me suis dit que ça serait ça et rien d’autre ».

Corine, membre du GRAPPE
Corine, membre du GRAPPE

Elle anime ce soir, avec trois collègues, le stand de l’école pour le compte de son laboratoire de recherche, le GRAPPE (Groupe de Recherche en Agroalimentaire sur les Produits et les Procédés). Des ateliers invitent les participants à reconnaître les odeurs ou les saveurs. Un autre propose d’apprendre à ranger un réfrigérateur selon la durée de conservation des aliments, avec explications à la clef. Rien d’évident pour le consommateur !

Le consommateur-testeur

Corine explique sa présence : « Mon labo étant financé en partie par les fonds publics, c’est normal que je participe à des soirées comme celle là pour aider et faire connaître nos travaux ». Mais, avec humour, elle reconnaît qu’elle est là aussi parce qu’elle « recherche des testeurs, surtout des hommes jeunes, qui font défaut ».

Corine organise en effet des panels, composés toujours de 18 consommateurs. « Je leur fait tester des fruits ou des légumes, crus ou cuits, pour identifier les différentes saveurs du produit », explique-t-elle.

Atelier pour apprendre à bien organiser son frigo en fonction de la température.
Atelier pour apprendre à bien organiser son frigo en fonction de la température.

Pour fournir des unités de mesure fiables et exploitables, elle forme ses « cobayes » au goût, et ce, sur une longue période. « Cela fait sept ans que je travaille avec eux et donc sept ans qu’ils développent de véritables capacités gustatives ». Pour elle, « l’outil de caractérisation, c’est l’être humain ». Rémunérés 15 euros par séance, les testeurs ont des instructions : ne rien consommer deux heures avant… et ni cigarette, ni dentifrice ! Pour Corine, « le but n’est pas de dire qu’une pomme a seulement le goût de pomme mais bien de détailler chaque sensation que procure une bouchée ». Des « empreintes » de poire, de rose ou de banane se retrouvent ainsi dans une simple pomme Golden.

Une fois les données recueillies, Corine croise les résultats avec les impressions de clients non formés, les « consommateurs naïfs ». Ces derniers répondent à des questions plus fermées : le produit est t-il sucré, acide, ou simplement bon ?

Un métier passionnant

Corine trouve ses commanditaires en répondant à des appels à projets d’organismes publics ou privés, nationaux ou européens, à qui elle restitue et facture ses travaux. Récemment, un syndicat viticole a financé une étude sur l’évolution du goût des vins d’Anjou, en fonction de la maturité du raisin.

Des contacts humains, un travail sur la matière vivante, des résultats concrets directement exploitables, l’ambition d’améliorer la qualité environnementale et gustative des aliments… et du travail sur la planche. Corine trouve son activité captivante. « On ne s’ennuie jamais. Pour nous, la recherche est un perpétuel recommencement, une enquête même ».

Le métier de Corine et la passion qui l’anime, c’est l’une des mille et une histoires contées ce soir là à la Nuit des chercheur·e·s…

Philippe DUCHESNE, Jean-Philippe GOETHALS, Manon PROUST

Jouer aux cartes avec Jules Verne

Le 28 septembre 2018 s’est tenu au Quai la 14e édition de la Nuit européenne des chercheur.e.s, organisé par Terre des sciences  à Angers. L’occasion pour les doctorants et chercheurs de présenter leurs travaux au grand public, comme l’a fait Andréa Masnari, doctorant en littérature.

Andréa Masnari, doctorant au laboratoire 3L.AM
Andréa Masnari, doctorant au laboratoire 3L.AM

Sur le stand d’Andréa Masnari, quelques livres de contes étrangers, des photographies, des maquettes et une carte du XIXe siècle pour attirer le spectateur. Italien et doctorant au sein du laboratoire 3L.AM (Langues, littérature, linguistique des universités d’Angers et du Maine), André Masnari travaille sur la littérature française du XIXe siècle.

À la frontière entre histoire et littérature, il a proposé pour la Nuit européenne des chercheur·e·s une thématique autour des œuvres de Jules Verne. De manière ludique, un jeu de cartes a permis de découvrir quatre ouvrages, à savoir : De la Terre à la Lune, Cinq semaines en ballon, Vingt milles lieues sous les mers et Robur le conquérant. Le jeu de cartes se compose de la couverture du roman en question, d’une première liste des personnages principaux, d’une seconde donnant les lieux visités, d’une représentation des machines inventées et d’un planisphère retraçant le trajet des protagonistes. À partir de cela, le spectateur doit retracer le scénario de chaque livre avec ce jeu.

Réalité et fiction, un récit de l’extraordinaire

Cette manière pédagogique d’aborder les œuvres de Jules Verne facilite la compréhension du sujet d’étude d’Andréa Masnari. Ses travaux se concentrent sur l’imbrication entre les savoirs scientifiques contemporains et la part de fiction issu du récit. Pour illustrer son propos, il évoque De la Terre à la Lune dans lequel des fabricants d’armes, contraints par la paix, envoient une mission sur la Lune. Au delà de la simple fiction, cette œuvre présente une critique sociale du XIXe siècle dans laquelle l’auteur dépeint un monde vraisemblable. C’est justement cette notion que le doctorant tente de mettre en avant : « Faire la différence entre fiction extraordinaire et fiction fantaisiste ». La forme de vulgarisation des « concepts scientifiques » présente dans les œuvres de Jules Verne dressent un monde qui paraît d’autant plus réel pour le lecteur.

Cette présentation proposée lors de la Nuit européenne des chercheur.e.s a été des plus enrichissantes pour le public. Chercheurs, étudiants, parents et enfants auront pu découvrir ou redécouvrir les œuvres de Jules Verne.

Pour celles et ceux qui souhaiteraient en apprendre plus sur Jules Verne, une exposition aura lieu au théâtre de la Halle-au-blé à La Flèche (72) du 23 au 25 novembre 2018 durant le festival Rencontres Ciel & Nature. Pour les plus passionnés, allez explorer le musée Jules Verne à Nantes, ou encore la maison de Jules Verne à Amiens.

Fanny CHASSEBOEUF, Sébastien KASSIAN, Camille OUMI