L’ab-surdité d’un débat séculaire : l’absence de « danger » des unions entre sourds sera-t-elle entendue ?

La limitation de la reproduction entre les individus jugés inaptes est l’un des fondements de l’eugénisme. Ainsi, l’inventeur du téléphone Alexander Graham Bell, qui fut aussi éducateur dans des écoles pour personnes sourdes et marié à une femme sourde, expose ses craintes en 1883 dans une publication intitulée ‘Memoir Upon the Formation of a Deaf Variety of the Human Race’. Il y explique que les mariages très fréquents entre personnes sourdes, encouragés à la fois par le déficit de communication entre personnes entendantes et personnes sourdes et par le développement de structures éducatives dédiées aux sourds, risquait à terme de créer une sous-population humaine sourde. A la demande de Bell, une étude est menée dans les années 1880 par Edward Allen Fay sur 4 471 pedigrees de sourds étudiant au Gallauget College (une Université dédiée aux sourds et malentendants, à Washington DC) ou inscrits dans des écoles de sourds des Etats-Unis. Les conclusions de cette étude démentent les craintes de Bell : les mariages entre sourds n’augmentent presque pas la probabilité de naissance d’un enfant sourd.

Le comédien et metteur en scène Levent Beskardes signant le mot "poème" pour la série Les Mots du silence, de la photographe Jennifer Lescouët (Jennifer Lescouët, CC-BY-SA 4.0).

Le comédien et metteur en scène Levent Beskardes signant le mot “poème” pour la série Les Mots du silence, de la photographe Jennifer Lescouët (Jennifer Lescouët, CC-BY-SA 4.0).

Le déterminisme génétique de la surdité, inconnu au XIXe siècle, est aujourd’hui mieux documenté. La surdité congénitale est causée dans un quart des cas par des allèles déficients récessifs du gène de la connexine 26 (GJB2), mais ce sont des mutations sur plus de 140 gènes qui ont été rapportées. Ainsi, des parents sourds peuvent être homozygotes pour des allèles déficients mais à des gènes différents ; leurs enfants, parfaitement entendants, bénéficieront d’un effet de complémentation en récupérant un allèle fonctionnel pour chacun des gènes défectueux chez leurs parents. Une autre cause de naissance d’enfants entendants issus d’un couple de sourds est que la surdité de certains parents n’a pas toujours une origine génétique, mais parfois une cause environnementale, comme par exemple des infections.

Le fait qu’une personne sourde soit plus susceptible de fonder une famille avec une autre personne sourde est considéré comme une forme d’homogamie linguistique. En biologie, l’homogamie est définie comme un choix de partenaire de reproduction en direction des individus présentant des similitudes phénotypiques avec soi. Au début du XXe siècle, les travaux des biostatisticiens Ronald Fisher et Sewall Wright sur les attendus théoriques de l’homogamie en génétique des populations sont éclairants sur ce sujet. Dans le cas théorique d’un gène unique à transmission récessive contrôlant la maladie, des parents atteints donneront systématiquement des enfants atteints. Ce modèle théorique prédit que la proportion d’homozygotes augmenterait dans la population et par conséquent le taux de personnes sourdes. Toutefois, la fréquence de l’allèle récessif déficient resterait constante.

Néanmoins des études récentes, réalisées sur la population américaine contemporaine, suggèrent que les unions entre personnes sourdes ont entrainé l’augmentation de la prévalence de la surdité dans la population, mais aussi de la fréquence des allèles responsables. De tels résultats peuvent avoir des impacts négatifs sur le financement de structures éducatives accusées de renforcer l’endogamie dans la communauté des sourds. Derek C. Braun et ses collaborateurs américains de la Gallaudet University ont cherché à tester ces conclusions par des simulations bioinformatiques incluant des paramètres choisis au regard de la littérature disponible sur ce handicap. Leur démarche et leurs résultats ont été publiés dans la revue PLoS ONE en novembre 2020.

C’est ainsi l’évolution d’une population de 200 000 individus qui a été simulée sur 20 générations, soit environ 400 ans, c’est-à-dire l’âge approximatif de la langue des signes d’après l’article. La fréquence initiale de l’allèle récessif de la surdité a été fixée à 1,304%, c’est-à-dire la fréquence de l’allèle c.35delG du gène GJB2, majoritaire chez les Américains blancs et les Européens. Une proportion de 0,8‰ des individus sains ont été rendus sourds, ce qui correspond à la proportion des cas de surdité causés par d’autres gènes, par des causes épigénétiques ou par des troubles d’origine périnatale. Quelle que soit la cause de leur surdité, les personnes sourdes ont été accouplées, avec un taux d’homogamie linguistique variable, sachant que dans la population contemporaine réelle, ce taux d’homogamie est estimé à 90%.

Effet de l’homogamie sur (a) la prévalence de la surdité et (b) la fréquence de l’allèle récessif à l’origine de la surdité au cours de 20 générations. Les droites représentent des statistiques descriptives de la dispersion des valeurs selon les simulations avec de haut en bas : le 98e percentile, le 3e quartile, la médiane, le 1er quartile et le 2e percentile. Cette dispersion est aussi visible sous forme d’un diagramme en violon, sur la droite. Ces simulations ont été réalisées avec une valeur sélective relative pour les sourds de 1.

Effet de l’homogamie sur (a) la prévalence de la surdité et (b) la fréquence de l’allèle récessif à l’origine de la surdité, au cours de 20 générations. Les courbes représentent des statistiques descriptives de la dispersion des valeurs selon les simulations avec de haut en bas : le 98e percentile, le 3e quartile, la médiane, le 1er quartile et le 2e percentile. Cette dispersion est aussi visible sous forme d’un diagramme en violon, sur la droite. Ces simulations ont été réalisées avec une valeur sélective relative pour les sourds de 1.

Après simulation des 20 générations, la fréquence des sourds est passée à 0,022% avec un taux d’homogamie de 90% contre 0,017% sans homogamie, soit une augmentation significative de 23% imputable à l’homogamie. Les simulations montrent que c’est au cours des trois premières générations d’homogamie que cette variation s’opère puis les variations sont marginales sur les générations suivantes. Au contraire, la fréquence de l’allèle récessif n’a pas varié significativement : 1,306% avec homogamie contre 1 ,304% sans homogamie. Ces simulations informatiques sont donc en accord avec les prédictions théoriques basées sur des équations mathématiques.

L’étude va plus loin en simulant l’impact synergique de l’homogamie et d’une hausse de la valeur sélective relative des individus sourds, c’est-à-dire de leur capacité à survivre et à se reproduire comparativement aux individus normaux. En supposant notamment une valeur sélective relative des sourds de 1,5, c’est-à-dire une augmentation de 50% par rapport à celle des personnes entendantes, voire plus, on observerait une augmentation significative de la fréquence de l’allèle récessif déficient dans la population. Mais cette valeur relative est loin d’être en phase avec la réalité puisque la fertilité relative des personnes sourdes est généralement faible, comprise entre 0,31 et 0,91 selon les études, c’est-à-dire toujours une fertilité plus faible que celle des personnes entendantes.

Avec cette fertilité réduite, comment expliquer que certains allèles récessifs déficients aient quand même été mesurés entre 1% et 4,4% dans les populations humaines ? Une des hypothèses avancées est celle d’une sélection équilibrante pour ces allèles. La fréquence allélique actuelle serait le résultat d’un équilibre entre l’effet négatif lié à la fécondité réduite observée chez les personnes sourdes et un effet positif que pourraient apporter ces allèles. Il a notamment été montré que le gène GJB2 est requis pour l’infection de Shigella flexneri, agent bactérien de la shigellose, une forme de dysenterie. Pour vérifier si les allèles déficients des sourds entraînent réellement une résistance à la dysenterie et si cette résistance s’exprime à l’état hétérozygote autant qu’à l’état homozygote, il faudra prêter l’oreille aux futurs travaux scientifiques.

Références de l’article

Derek C. Braun, Samir Jain, Eric Epstein, Brian H Greenwald, Brienna Herold, Margaret Gray (2020) Deaf intermarriage has limited effect on the prevalence of recessive deafness and no effect on underlying allelic frequency. PLoS ONE 15(11): e0241609.

Faut pas se « gèner » pour consommer des produits laitiers : la piste d’une adaptation culturelle ou du microbiote intestinal chez les populations pastorales d’Asie centrale davantage qu’une adaptation génétique

Les jeunes enfants sont dépendants d’une alimentation à base de lait et dans toutes les populations du monde, cela est rendu possible par l’expression du gène codant l’enzyme lactase, chargée de dégrader le lactose en galactose et glucose, des molécules plus simples et facilement incorporables par leur métabolisme. C’est à partir de trois ans que des inégalités apparaissent : certaines populations, dites « lactase persistantes » (LP) restent capables de digérer le lactose, même à l’âge adulte, tandis que d’autres perdent cette capacité du fait que le gène codant la lactase n’est plus exprimé. La répartition des populations LP, fréquentes chez les populations européennes, africaines et arabes, a été largement associée à leurs ancêtres qui ont domestiqué des animaux exploités pour leur lait depuis le Néolithique. L’hypothèse adaptative étant que chez les populations qui disposaient de la ressource en lait, le phénotype LP était avantagé car il apportait un gain nutritionnel, tandis que les individus non LP étaient victimes de crampes intestinales et de diarrhées sévères.

Une jument en cours de traite, dans la vallée de Suusamyr, au Kirghizistan (Crédit : Firespeaker, CC-BY-SA 3.0)

Une jument en cours de traite, dans la vallée de Suusamyr, au Kirghizistan (Crédit : Firespeaker, CC-BY-SA 3.0)

L’article de Laure Segurel et ses collaborateurs français et ouzbeks, publié dans PloS Biology le 8 juin 2020, vise à tester si cette hypothèse largement diffusée est généralisable à tous les peuples d’éleveurs. La comparaison de la fréquence des populations LP et de la carte des populations pastorales, dépendantes de l’élevage, montre une incohérence en Asie centrale (prise au sens large : ex-républiques soviétiques d’Asie centrale mais aussi Mongolie, Chine occidentale et sud-est de la Russie). Les éleveurs kazakhs et mongols ont seulement une fréquence d’individus LP de 12 à 30 %, malgré une consommation importante de produits laitiers. Le génotypage de 30 populations d’Asie centrale montre même que les populations d’éleveurs auraient une fréquence d’individus LP encore plus faible que les populations de fermiers, pourtant moins dépendants du lait dans leur alimentation. Ce résultat vient encore questionner la véracité de l’hypothèse adaptative sur l’ensemble de l’Eurasie.

Variation de la fréquence en Eurasie de l'allèle -13.910*T, responsable du phénotype LP, au cours des 10 000 dernières années.

Variation de la fréquence en Eurasie de l’allèle -13.910*T, responsable du phénotype LP, au cours des 10 000 dernières années. La carte de l’Eurasie est indiquée pour quatre périodes : il y a 4 000 à 10 000 ans, il y a 3 000 à 4 000 ans, les 3 000 dernières années (toutes trois alimentées par des échantillons d’Hommes issus de fouilles archéologiques) et enfin l’époque contemporaine (échantillons d’Hommes actuels). Les zones de couleurs représentent une extrapolation de la fréquence de l’allèle -13.910*T : les zones claires représentent des régions avec une faible fréquence de cet allèle (l’autre allèle C y domine) tandis que les zones sombres représentent des régions avec une forte fréquence de cet allèle. Pour les cartes de périodes anciennes, les points bleus foncés représentent l’allèle mutant T tandis que les points bleus clairs représentent l’allèle originel C. On voit sur la première carte que les premiers porteurs de l’allèle muté se situent en Europe centrale et on observe sur les suivantes l’expansion de l’allèle en Eurasie et sa forte augmentation de fréquence en Europe du Nord contrairement à l’Asie centrale où la fréquence allélique reste faible.

Vu que l’adaptation est un processus qui s’inscrit dans la durée, il est important de remettre la problématique dans une perspective temporelle, notamment parce qu’il y a pu y avoir au cours du temps des remplacements de populations. La version du gène responsable du phénotype LP, nommée allèle -13.910*T a ainsi été suivie chez 1 434 individus ayant vécu en Eurasie au cours des 10 000 dernières années. C’est en Europe centrale, il y a 5 950 ans, que l’allèle -13.910*T apparaît pour la première fois. Il se répand ensuite rapidement dans toute l’Eurasie à l’Age de Bronze tardif et on en trouve trace en Asie centrale pour la première fois il y a 3 713 ans. Et c’est à l’Age de Fer que le phénotype LP en Europe et en Asie centrale prend des trajectoires différentes : sur les 3 000 dernières années, la fréquence des individus LP s’élève en moyenne à 31% en Europe alors qu’elle n’est que de 6% en Asie centrale. Cela signifierait donc que l’allèle -13.910*T aurait été fortement sélectionné chez les peuples d’éleveurs d’Europe, notamment l’Europe du Nord, mais pas ou peu sélectionné chez les peuples d’éleveurs d’Asie centrale. Pourquoi ?

Même s’il existe une forte diversité d’animaux domestiques élevés pour leur lait en Asie centrale, le lait de jument occupe depuis très longtemps une place traditionnelle. Paradoxalement, c’est pourtant l’un de ceux dont la teneur en lactose est la plus importante mais c’est aussi l’un de ceux qui est le plus enclin à faire spontanément de la fermentation. Plus généralement, quelle que soit l’origine du lait, les peuples d’Asie centrale ont coutume de ne presque jamais consommer de lait brut, mais plutôt des produits laitiers issus de fermentation, par exemple les boissons fermentées nommées ‘kumis’ ou ‘ajrag’. Dans ces produits fermentés, la teneur en lactose est réduite et, à teneur égale, celui qui reste est plus facilement digéré dans les produits fermentés que dans les produits laitiers non fermentés. D’après l’hypothèse de l’article, si la consommation de produits laitiers en Europe du Nord et en Afrique a pu se faire par une adaptation génétique humaine, l’Asie centrale, où la mutation avantageuse était pourtant présente, a plutôt été marquée par une adaptation culturelle par consommation de produits laitiers fermentés.

Si les peuples d’Asie centrale ne se sont pas eux même adaptés à la consommation de lactose, ils auraient donc exploité les bactéries impliquées dans la fermentation. L’article pose aussi une deuxième hypothèse impliquant encore une fois des bactéries : celle d’un microbiote intestinal qui se serait adapté pour digérer le lactose. La métagénomique, c’est-à-dire l’analyse du contenu en espèces microbiennes dans un environnement donné, par exemple l’intestin, appliquée à des échantillons de différents peuples permettra de tester cette hypothèse.

Finalement, l’une des questions qui reste la plus ouverte est pourquoi y a-t-il pu y avoir adaptation génétique humaine si une autre voie était possible ? Est-ce lié au fait que l’élevage en Europe du Nord et en Afrique est dominé par les espèces bovines (spécificité en terme de quantité/qualité du lait ?) ? Ou est-ce simplement parce que les produits fermentés n’ont pas trouvé d’adeptes dans ces régions ? Nul doute que le généticien des populations ne réussira à répondre à ces questions que dans le cadre de travaux interdisciplinaires et ces passionnants futurs développements seront à surveiller… comme le lait sur le feu.

Références de l’article

Laure Segurel, Perle Guarino-Vignon, Nina Marchi, Sophie Lafosse, Romain Laurent, Céline Bon, Alexandre Fabre, Tatyana Hegay, Evelyne Heyer (2020) Why and when was lactase persistence selected for? Insights from Central Asian herders and ancient DNA. PLoS Biology 18(6): e3000742.

Révolution et contre-révolution : émergence de populations virulentes de pathogènes suite au déploiement massif d’une source de résistance unique chez le riz pendant la Révolution verte

Si l’effet de la domestication et de la création variétale sur la diversité des plantes cultivées est largement étudié, l’impact des activités humaines sur les populations de pathogènes affectant les plantes reste beaucoup moins connu. Parmi l’histoire récente de l’agriculture, la Révolution verte est, dans un contexte d’accroissement démographique après la Seconde Guerre mondiale, une période marquée par de profondes transformations du système agricole, parmi lesquelles la croissance exponentielle de la monoculture. Ainsi, aux Philippines, de nombreuses variétés locales ont été cultivées par les fermiers pendant près de 3 500 ans jusqu’à la création dans les années 1960 de l’International Rice Research Institute (IRRI) pour répondre aux enjeux de croissance démographique et de sécurité alimentaire. Les travaux d’amélioration génétique de cet institut ont mené à l’obtention des variétés à haut rendement IR20 en 1967 puis IR64 au milieu des années 1980, toutes deux porteuses du gène Xa4, permettant la résistance à la bactériose du riz, une maladie foliaire causée par la bactérie Xanthomonas oryzae pv. oryzae (appelée ‘Xoo’ dans la suite de l’article). Le succès de ces variétés et de leurs descendantes fut tel qu’elles furent déployées sur des millions d’hectares dans toute l’Asie. Suite à cela, des populations de bactéries Xoo virulentes, c’est-à-dire contournant la résistance, sont apparues aux Philippines.

Symptômes de bactériose sur des feuilles de riz, causée par la bactérie Xanthomonas oryzae pv. oryzae

Symptômes de bactériose sur des feuilles de riz, causés par la bactérie Xanthomonas oryzae pv. oryzae (crédit photo : Donald Groth, publié sur Wikimedia Commons sous licence Creative Commons Attribution 3.0)

Le travail de Ian Lorenzo Quibod et de ses collaborateurs des Philippines, d’Indonésie et du Gabon, publié dans la revue The ISME Journal fin octobre 2019, vise à comprendre les mécanismes de cette apparition de populations virulentes de pathogènes en réponse au déploiement des variétés de riz résistantes. Plus de 70 % des variétés de riz obtenues entre 1960 et 2010 portent la résistance Xa4, alors qu’il existe d’autres sources de résistance qui ont été très peu utilisées (xa5, xa13, Xa7, Xa21). La part de culture des variétés portant le gène de résistance Xa4 a même atteint son maximum en 1988 avec 91,5 % de la surface cultivée en riz aux Philippines portant cette résistance, avant de décroître par la suite, du fait de l’émergence de bactéries Xoo virulentes sur ces cultures. Les tests pathologiques réalisés pour 1822 isolats de bactéries Xoo échantillonnés entre 1970 et 2015 ont montré que la proportion de souches virulentes vis-à-vis des riz portant Xa4 était d’environ 20 % au début des années 1970 puis a rapidement dépassé 50 % jusqu’à la fin des années 1980 avant d’atteindre 84 % au début des années 1990, lors du maximum du déploiement de la résistance Xa4 parmi les variétés de riz cultivées dans l’archipel des Philippines.

L’étude des 11 races de bactéries Xoo identifiées en fonction de leur capacité à se développer sur un panel de variétés de riz portant différentes résistances montre que certaines races sont retrouvées tout au long de l’intensification du déploiement de la résistance Xa4 (races 2 et 3 par exemple) alors que le complexe de races 9com semble, lui, émerger vers le début des années 1990.

Phylogénie de Xanthomonas

Relations phylogénétiques et représentation temporelle et spatiale des souches de Xanthomonas oryzae pv. oryzae aux Philippines entre 1970 et 2015. A. Arbre phylogénétique construit par comparaison des régions génomiques communes entre souches. Selon la topologie de l’arbre, chaque souche est ainsi classée dans l’un des six groupes génétiques identifiés : PX-A1, PX-A2, PX-A3, PX-B1, PX-B2, PX-C1. En plus d’être comparées au niveau génomique, les souches Xoo ont aussi été comparées en terme de virulence vis-à-vis de huit variétés de riz présentant chacune un gène de résistance Xa différent (en haut à droite de la figure). Chaque variété de riz est ainsi indiquée comme sensible (S), moyennement sensible (MS), moyennement résistante (MR) ou résistante (R) à la souche correspondante. En fonction de leur capacité à infecter ces variétés de riz témoins, les souches sont classées en races. B. Distribution dans le temps de la proportion de souches de bactéries Xoo isolées entre 1970 et 2015. Les souches sont indiquées selon le groupe génétique qui leur a été assigné. Les couleurs du graphique sont les mêmes que celles de l’arbre phylogénétique. Les périodes de temps réunissent les souches échantillonnées sur cinq années consécutives. L’axe des ordonnées indique la proportion sur l’ensemble des 91 souches étudiées sur la période 1970-2015. On notera par exemple que les souches, non virulentes, du groupe PX-B2 (violet) ont fini par disparaître au cours du suivi, tandis que les souches, virulentes, du groupe PX-A1 (vert le plus foncé), absentes au début du suivi, ont émergé au cours de l’étude, en parallèle du déploiement de la résistance. C. Distribution spatiale des souches de Xoo dans l’archipel des Philippines. Les souches sont représentées en fonction de leur assignation aux groupes génétiques. Les couleurs sont les mêmes que pour l’arbre phylogénétique.

Afin de comprendre les changements génomiques des bactérie sur cette période, le génome de 91 souches de Xoo a été séquencé. La comparaison de ces génomes a permis de distinguer six groupes génétiques : PX-A1, PX-A2, PX-A3, PX-B1, PX-B2 et PX-C1. Ces groupes étaient très variables en terme de mutations et de recombinaisons, montrant une histoire évolutive complexe. Plusieurs variations nucléotidiques étaient associées à la virulence vis-à-vis du gène Xa4, notamment pour des gènes impliqués dans les systèmes de sécrétion, la dégradation de la paroi cellulaire, la détoxification des Reactive Oxygen Species (ROS) et la production de lypopolysaccharides. Plusieurs de ces variations se sont aussi avérées être sous sélection purifiante, c’est-à-dire comme subissant une intense contre-sélection contre les mutations affectant la fonction des gènes correspondants. La multiplicité des gènes candidats associés à l’émergence de la virulence vis-à-vis de la résistance Xa4 suggère que plusieurs acteurs moléculaires différents auraient pu évoluer en réponse au déploiement de la résistance Xa4 parmi les variétés de riz cultivées.

Globalement, l’étude montre plusieurs destinées possibles des souches de bactéries Xoo avant, pendant et après le déploiement des variétés de riz portant la résistance Xa4. Les souches de Xoo non virulentes, par exemple celles du groupe génétique PX-B2, en forte fréquence avant le déploiement, ont fini par disparaître du fait qu’elles n’étaient plus capables d’infecter les nouvelles variétés de riz résistantes. Les souches virulentes vis-à-vis de la résistance Xa4, comme celles du groupe génétique PX-B1, notamment la race 2, déjà présentes en fréquence limitée avant le déploiement, car non avantagées, ont par la suite été avantagées par le déploiement de la résistance Xa4 et ont augmenté en fréquence. Enfin, des souches inconnues avant le déploiement, comme celles du groupe génétique PX-A1, notamment le complexe de races 9com, ont pu émerger suite au déploiement.

Synthèse des modifs

Schéma synthétique montrant l’effet du déploiement progressif au cours de la Révolution verte des variétés de riz portant la résistance Xa4 (cf. graphique) sur l’évolution des fréquences de souches de Xanthomonas oryzae pv. oryzae. Avant la Révolution verte (gauche du schéma), les souches virulentes (bleu) et les souches non virulentes (violet) co-existaient. Puis le déploiement de la résistance chez le riz a agi comme un goulot d’étranglement sur la diversité des souches pré-existantes : les souches non virulentes, incapables d’infecter ces nouvelles variétés de riz résistantes, ont disparu tandis que les souches virulentes ont augmenté en fréquence car elles étaient les seules à pouvoir se développer dans les cultures de riz. Cette forte pression de sélection sur les pathogènes a même pu entraîner l’apparition de nouvelles souches virulentes (vert), jusqu’alors inconnues dans l’archipel des Philippines. A droite, le goulot d’étranglement a cessé quand la résistance Xa4 n’a plus été systématiquement incorporée aux nouvelles variétés de riz cultivées dans l’archipel. Toutefois, la composition des populations de pathogènes avait drastiquement changé entre avant et après le goulot d’étranglement.

La prise en compte de la co-évolution entre la plante hôte et ses pathogènes dans un contexte de changement de pratiques agricoles est une question primordiale pour la sécurité alimentaire. Des études comme celle-ci permettront peut-être de mieux réfléchir aux stratégies futures de déploiement spatial et temporel des sources génétiques de résistance, à l’avenir.

Références de l’article

Ian Lorenzo Quibod, Genelou Atieza-Grande, Eula Gems Oreiro, Denice Palmos, Marian Hanna Nguyen, Sapphire Thea Coronejo, Ei Ei Aung, Cipto Nugroho, Veronica Roman-Reyna, Maria Ruby Burgos, Pauline Capistrano, Sylvestre G. Dossa, Geoffrey Onaga, Cynthia Saloma, Casiana Vera Cruz, Ricardo Oliva (2019) The Green Revolution shaped the population structure of the rice pathogen Xanthomonas oryzae pv. oryzae. The ISME Journal, doi:10.1038/s41396-019-0545-2. Publié le 30 octobre 2019

De la percée du cheval persan au ré-étalon-nage à la baisse de la diversité à l’époque moderne : 5 000 ans d’histoire du cheval parcourus au galop

La domestication du cheval a révolutionné les civilisations humaines, aussi bien en terme de moyens de transport, d’échanges commerciaux ou de stratégies de guerre. Les premières traces de traite de jument, de harnachement ou de mise en captivité de cheval remontent à 5 500 ans dans les steppes d’Asie centrale. Cependant, les chevaux concernés ne seraient pas les ancêtres des chevaux modernes (Equus caballus) mais ceux des chevaux de Przewalski (Equus przewalskii). Une part de mystère subsiste quant au lieu de la domestication du cheval moderne : les steppes pontiques (au Sud-Est de l’Europe), l’Anatolie ou la péninsule ibérique ? Une précédente étude suggère aussi que suite à cette domestication, le génome du cheval aurait beaucoup changé au cours des 2 300 dernières années.

Reconstitution d'un cataphractaire sassanide. Les guerres entre les Sassanides (dynastie perse) et les Byzantins au début du IVe siècle auraient contribué à introduire le cheval persan en Europe.

Reconstitution d’un cataphractaire sassanide. Les guerres entre les Sassanides (dynastie perse) et les Byzantins à partir du IVe siècle suivies des invasions arabes auraient contribué à introduire le cheval persan en Europe. Source : John Tremelling, GNU Free Documentation License, Wikimedia.

Antoine Fages, Kristian Hanghøj, Naveed Khan et leurs collaborateurs d’un large consortium international ont cherché à tester ces hypothèses dans un article publié dans le journal Cell, le 30 mai 2019. Ils se sont basés sur sur le génome de 30 chevaux modernes, les génomes anciens obtenus de 129 individus répartis sur les six derniers millénaires, plus des marqueurs génétiques à l’échelle du génome pour 149 autres chevaux fossiles.

Il apparaît ainsi qu’alors que la diversité génétique était restée stable pendant 4 millénaires, celle-ci a baissé de 16% au cours des 200 à 400 dernières années. Cette période coïnciderait avec de forts changements de pratiques d’élevage marqués par une réduction du nombre de chevaux reproducteurs, entraînant une réduction de la taille efficace de la population, c’est-à-dire le nombre d’individus d’une population idéale chez laquelle on observerait un degré de dérive génétique équivalent à celui de la population réelle. Cette réduction n’est pas sans impact : la théorie prédit que les petites populations seraient en effet marquées par une atténuation de la sélection purifiante (sélection contre le maintien des allèles délétères), entraînant l’accumulation d’un fardeau génétique. La comparaison des patrons de sélection sur les sites synonymes et sur les sites non synonymes ainsi que sur ceux classés comme délétères par comparaison avec les variations conservées chez les espèces de Vertébrés a permis de vérifier cet attendu théorique chez les populations de chevaux : le fardeau génétique a bien augmenté chez les chevaux modernes, corrélativement à la perte de diversité. Cette réduction de diversité s’expliquerait par des stratégies drastiques de sélection d’étalons pour la reproduction. La diversité nucléotidique sur le chromosome Y, transmis par les étalons, diminue ainsi, à la fois en Asie et en Europe, au cours des deux derniers millénaires et chute aux niveaux actuels à partir de 850-1 350 de l’ère commune (anciennement appelée période après Jésus-Christ).

Diversité

Évolution de la diversité et du fardeau génétique chez le cheval domestique au cours du temps. En haut, la diversité, évaluée par l’hétérozygotie, chute brusquement chez les chevaux modernes par comparaison aux chevaux anciens. En bas, le fardeau génétique augmente corrélativement à la baisse de diversité, chez les chevaux modernes.

L’étude des relations phylogénétiques entre chevaux anciens et modernes est très informative quant aux échanges survenus les siècles passés. En plus des chevaux domestiques et des chevaux de Przewalski, les échantillons les plus anciens indiquent l’existence de deux autres lignées, aujourd’hui éteintes, de chevaux sauvages, l’une dans la péninsule ibérique, l’autre en Sibérie. Bien que présentes à l’époque de la domestication du cheval domestique, ces deux lignées n’auraient eu qu’une contribution marginale à la diversité des chevaux domestiques modernes, permettant de rejeter l’hypothèse d’un centre de domestication du cheval dans la péninsule ibérique.

En se focalisant sur la phylogénie des chevaux domestiques, on remarque que les poneys Shetlands et les chevaux Islandais modernes se classent à proximité de chevaux anciens du Nord de l’Europe. Ces deux races de chevaux prendraient peut-être leur origine dans les conquêtes vikings des VIIIe-XIe siècles. Le clade formé par ces chevaux est un clade frère de chevaux anciens européens, de la période Gallo-Romaine ou de la Tène (culture archéologique du 2nd Age du fer), traduisant une certaine cohésion génétique des chevaux européens anciens. Les chevaux modernes européens, autres que les poneys Shetlands et les chevaux Islandais, se retrouvent dans un autre clade, qui apparaîtrait en Europe au IXe siècle en Croatie, à une époque où ce fond génétique est encore absent en Europe du Nord. Sachant que cette période correspond à de fréquents raids arabes sur les côtes méditerranéennes et que ce clade correspond aussi à celui de chevaux persans sassanides des IVe et Ve siècles, ces résultats suggèrent une forte influence génétique des chevaux persans en Europe à partir du IXe siècle. Des résultats similaires ont été relevés en Asie avec le remplacement des fonds génétiques pré-existants en Asie centrale et en Mongolie par les chevaux d’origine persane à partir des VIIIe-IXe siècles.

Cet échantillon est aussi une opportunité de comprendre les gènes sélectionnés et par conséquent les caractères qui auraient été recherchés au cours de l’histoire du cheval domestique. Ainsi, la comparaison des fréquences alléliques entre les chevaux anciens asiatiques et européens et les chevaux byzantins de l’époque post-VIIe-IXe siècles, déjà largement marqués par l’introgression des chevaux d’origine persane, montre que les gènes impliqués dans la morpho-anatomie auraient beaucoup évolué sous l’influence des chevaux d’origine persane. Le gène MSTN impliqué dans la vitesse serait aussi un candidat sélectionné chez ces chevaux byzantins d’origine persane. Plus récemment, au cours du dernier millénaire, la sélection d’allèle à ce gène MSTN, mais aussi à deux autres gènes PDK4 et ACN9 connus pour influencer la vitesse des chevaux, confirme que l’accroissement de la vitesse de ses montures a été une préoccupation majeure de l’Homme.

Synthèse de l'histoire démographique du cheval cultivé.

Synthèse de l’histoire démographique du cheval cultivé, publiée dans l’article. Les conquêtes islamiques auraient entraîné une diffusion des chevaux de types persans qui auraient remplacé presque toutes les lignées de chevaux anciens présents en Asie et en Europe.

Références de l’article :

Antoine Fages, Kristian Hanghøj, Naveed Khan, Charleen Gaunitz, Andaine Seguin-Orlando, Michela Leonardi, Christian McCrory Constantz, Cristina Gamba, Khaled A.S. Al-Rasheid, Silvia Albizuri, Ahmed H.Alfarhan, Morten Allentoft, Saleh Alquraishi, David Anthony, Nurbol Baimukhanov, James H. Barrett, Jamsranjav Bayarsaikhan, Norbert Benecke, Eloísa Bernáldez-Sánchez, Luis Berrocal-Rangel, Fereidoun Biglari, Sanne Boessenkool, Bazartseren Boldgiv, Gottfried Brem, Dorcas Brown, Joachim Burger, Eric Crubézy, Linas Daugnora, Hossein Davoudi, Peter de Barros Damgaard, María de los Ángeles de Chorro y de Villa-Ceballos, Sabine Deschler-Erb, Cleia Detry, Nadine Dill, Maria do Mar Oom, Anna Dohr, Sturla Ellingvåg, Diimaajav Erdenebaatar, Homa Fathi, Sabine Felkel, Carlos Fernández-Rodríguez, Esteban García-Viñas, Mietje Germonpré, José D. Granado, Jón H. Hallsson, Helmut Hemmer, Michael Hofreiter, Aleksei Kasparov, Mutalib Khasanov, Roya Khazaeli, Pavel Kosintsev, Kristian Kristiansen, Tabaldiev Kubatbek, Lukas Kuderna, Pavel Kuznetsov, Haeedeh Laleh, Jennifer A. Leonard, Johanna Lhuillier, Corina Liesau von Lettow-Vorbeck, Andrey Logvin, Lembi Lõugas, Arne Ludwig, Cristina Luis, Ana Margarida Arruda, Tomas Marques-Bonet, Raquel Matoso Silva, Victor Merz, Enkhbayar Mijiddorj, Bryan K. Miller, Oleg Monchalov, Fatemeh A. Mohaseb, Arturo Morales, Ariadna Nieto-Espinet, Heidi Nistelberger, Vedat Onar, Albína H. Pálsdóttir, Vladimir Pitulko, Konstantin Pitskhelauri, Mélanie Pruvost, Petra Rajic Sikanjic, Anita Rapan Papeša, Natalia Roslyakova, Alireza Sardari, Eberhard Sauer, Renate Schafberg, Amelie Scheu, Jörg Schibler, Angela Schlumbaum, Nathalie Serrand, Aitor Serres-Armero, Beth Shapiro, Shiva Sheikhi Seno, Irina Shevnina, Sonia Shidrang, John Southon, Bastiaan Star, Naomi Sykes, Kamal Taheri, William Taylor, Wolf-Rüdiger Teegen, Tajana Trbojević Vukičević, Simon Trixl, Dashzeveg Tumen, Sainbileg Undrakhbold, Emma Usmanova, Ali Vahdati, Silvia Valenzuela-Lamas, Catarina Viegas, Barbara Wallner, Jaco Weinstock, Victor Zaibert, Benoit Clavel, Sébastien Lepetz, Marjan Mashkour, Agnar Helgason, Kári Stefánsson, Eric Barrey, Eske Willerslev, Alan K. Outram, Pablo Librado, Ludovic Orlando (2019) Tracking Five Millennia of Horse Management with Extensive Ancient Genome Time Series. Cell, 177(6) :1419-1435.e31. Publié le 30 mai 2019

Doit-on parler de races humaines comme on parle de races canines ? La réponse des génétic(h)iens

En 1956, le généticien Haldane posait la question suivante à des anthropologues : « Les différences biologiques entre les groupes humains sont-elles comparables avec celles de groupes d’animaux domestiques, tels que les lévriers ou les bulldogs ?». Les prolongements de cette question ont donné lieu à un débat populaire qui connaît son paroxysme dans des décisions politiques, qui sans revenir à l’idéologie nazie, ont abouti aux cinq catégories raciales actuellement en vigueur dans la législation américaine (Blanc /Noir ou Afro-Américain / Amérindien ou natifs d’Alaska /Asiatique / Hawaïen ou natifs d’autres îles du Pacifique). Mais le concept de races humaines ne serait-il pas davantage une construction sociale plutôt qu’une réalité biologique comparable aux races d’animaux domestiques, notamment les races canines ?

Races canines vs races humaines

A gauche, planche de races de chiens, tirée de ‘The New Student’s Reference Work’ (Ed. Chandler B. Beach, Chicago) publié en 1914. A droite, planche de visages humains d’origine variée, tirée de ‘Evolution of Life’ par Henri C. Chapman en 1873 (Ed. J.B. Lippincott, Philadelphie). Illustrations du Domaine public.

C’est la question à laquelle la chercheuse américaine Heather L. Norton et ses collaborateurs ont tenté de répondre dans un article de synthèse paru le 9 juillet 2019 dans la revue Evolution: Education and Outreach. Le concept génétique de races repose sur le fait qu’il existerait des groupes distincts au sein d’une espèce, c’est-à-dire pour lesquels la diversité intra-groupe serait minime alors que la diversité inter-groupes serait très importante. Chez l’Homme, les anthropologues ont comparé les individus par rapport à des critères comme la couleur de la peau, des mesures de crânes, les groupes sanguins ou encore des marqueurs génétiques.

Ainsi, l’analyse de la diversité génétique de chiens à partir de marqueurs moléculaires classait les individus dans des groupes génétiques qui correspondaient aux races dans 99 % des cas. Le même type d’analyse mené sur un groupe d’humains échantillonnés sur l’ensemble de la planète aboutissait au modèle le plus vraisemblable distinguant six groupes génétiques répartis en : (1) Afrique, (2) Europe/Moyen-Orient/Asie centrale, (3) Extrême-Orient, (4) Océanie, (5) Amériques et (6) les Kalashs, une population isolée du Nord-Ouest du Pakistan. La plupart de ces groupes génétiques s’explique par la barrière reproductive que représentent les limites entre continents. Toutefois, contrairement aux chiens, ces groupes génétiques ne doivent pas être interprétés comme des races. Déjà, l’analyse n’aboutit pas à un modèle incontestable de structure et il existe plusieurs modèles plausibles. On peut même parler de modèles imbriqués, indiquant plusieurs niveaux de structuration génétique plus ou moins marqués. Ainsi, si on sépare l’humanité en deux groupes on distinguera les populations d’Afrique/Europe/Moyen-Orient/Asie centrale de celles de l’Extrême-Orient/Océanie/Amériques. Si on sépare l’humanité en trois groupes, les populations d’Afrique de distinguent des populations d’Europe/Moyen-Orient/Asie centrale. Le découpage en quatre groupes génétiques sépare les populations d’Amériques de celles d’Extrême-Orient/Océanie. Ce dernier groupe est séparé dans le cas d’une subdivision en cinq groupes génétiques. Par ailleurs, peu importe le découpage, la probabilité d’assignation d’un humain à un groupe génétique n’est souvent pas totale et une personne est généralement assignée à plusieurs groupes génétiques simultanément.

Structure génétique observée pour 85 races de chiens.

Structure génétique observée pour 85 races de chiens. (a) L’abscisse montre les 85 races de chiens représentées par plusieurs individus. L’ordonnée indique la probabilité d’assignation aux groupes génétiques, représentés par des couleurs différentes. Les groupes génétiques identifiés sont généralement cohérents avec les races canines. (b) Analyses effectués indépendamment sur des couples de races que l’analyse globale n’avait pas réussi à différencier car ces races ont une origine commune (ex : Mastiff et Bullmastiff). A l’exception de deux types de Bergers Belges (le Groenendael et le Tervueren), ces analyses sur des sous-échantillons ont permis de différencier génétiquement les races. Cette figure a initialement été publiée dans Parker et al. (2004).

Structure des populations humaines

Structure génétique observée pour 52 populations humaines échantillonnées dans le monde entier. Les cinq analyses effectuées en fonction du nombre de groupes génétiques (K=2 à 6) montrent ce concept de structure imbriquée. L’origine géographique, notamment l’appartenance à un continent, est le facteur le plus structurant. Toutefois, de nombreux individus sont assignés à plus d’un groupe génétique. Ces résultats ont été publiés pour la première fois dans un article de Rosenberg et al. 2002.

L’analyse de la variance moléculaire (AMOVA) est un outil statistique permettant de décomposer la variance génétique selon différents niveaux hiérarchiques de structuration. Elle s’avère donc un bon moyen de tester la pertinence des groupes génétiques détectés. Si 27 % des différences génétiques observées entre les chiens se situent entre races canines, seulement 3,3 à 4,7 % de la variation génétique totale observée chez les humains se situent entre les groupes continentaux ou régionaux évoqués plus haut.

Comment expliquer ces différences entre la structuration des populations canines et des populations humaines ? La plupart des races de chiens ont une origine récente, correspondant à environ cent ans de sélection drastique où l’Homme a empêché les chiens de se reproduire en dehors de la race et n’a autorisé les reproductions qu’entre un petit nombre d’individus correspondant aux standards fixés pour la race. Il en résulte une diversité réduite qu’on peut estimer par l’hétérozygotie attendue H, c’est-à-dire la probabilité de tirer deux allèles différents connaissant les fréquences alléliques de la population. Chez une race canine, H est compris entre 0,313 et 0,610. Cette consanguinité est par ailleurs à l’origine d’un nombre considérable de maladies génétiques propres à chaque race. Du côté de l’espèce humaine, les facteurs qui empêchent les flux de gènes entre groupes régionaux sont des facteurs géographiques, culturels et linguistiques, qui, même s’ils s’exercent depuis plus longtemps que la sélection des races modernes de chiens, n’a pas eu un effet d’isolement génétique aussi marqué. Il en résulte une diversité génétique intra-groupe plus élevée que celles des races canines (H=0,664-0,792). L’indice de fixation FST qui marque l’ampleur de la différentiation génétique entre des populations était aussi largement plus élevé entre races canines (FST=0,33) qu’entre groupes continentaux humains (FST=0,052-0,083).

Le concept de race suppose aussi une homogénéité phénotypique. Un caractère aussi stigmatisant que celui de la couleur de la peau chez l’humain varie en fait assez largement au sein d’un continent puisque les populations originaires des tropiques et des hautes altitudes présentent les couleurs de peau les plus sombres, afin d’apporter une forte protection contre les UV. Ces continuums de couleurs de peau sont aussi permis par un contrôle génétique complexe de ce caractère de couleur de peau chez l’Homme (des centaines de gènes impliqués) contrairement aux chiens (neuf gènes identifiés). Quant à la taille des individus, leurs distributions se chevauchent largement entre catégories raciales américaines. Cela contraste fortement aux très impressionnantes différences de taille entre les races de chiens.

Alors, que reste-t-il au concept de race chez l’espèce humaine ? Une construction sociale bâtie en parallèle du racisme permettant à une élite dominante de stigmatiser des minorités. Preuve en est que ces classes raciales ont évolué au cours du temps pour appuyer des motivations politiques telles que l’esclavage ou les politiques migratoires. On peut définir le racisme comme l’idéologie politique selon laquelle les groupes humains ne seraient pas dotés des même capacités et qu’on leur attribuerait un jugement de valeur en distinguant des races supérieures et des races inférieures. L’historien Harrington considère que l’apparition du concept de races humaines aux États-Unis n’est pas étrangère à la généralisation dans les années 1880 des races pures de chiens, par opposition à ce qu’on appelle aujourd’hui les ‘village dogs’ qui sont aux chiens ce que le ‘chat de gouttière’ est aux chats. Cet événement coïncide avec le rejet des immigrants irlandais, allemands, italiens, juifs par les White Anglo-Saxon Protestants (WASP) déjà présents aux États-Unis.

Références de l’article :

Heather L. Norton, Ellen E. Quillen, Abigail W. Bigham, Laurel N. Pearson, Holly Dunsworth (2019) Human races are not like dog breeds: refuting a racist analogy. Evolution: Education and Outreach, 12: 17.

Chaud devant ! Le réchauffement climatique augmente les taux de mutation et de sélection de populations sauvages d’amidonnier

Le réchauffement climatique représente un défi majeur pour les populations naturelles de plantes. Les modèles théoriques de génétique des populations prédisent que les populations végétales répondront par une sélection positive sur des mutations pré-existantes initialement en fréquence faible avant que l’accumulation de mutations délétères n’entraîne l’extinction de la population. Ces prédictions théoriques n’ont que très rarement eu l’occasion d’être vérifiées.

Amidonnier sauvage (Triticum dicoccoides)

Amidonnier sauvage (Triticum dicoccoides) (Source : Roger Culos, Wikipedia, publié sous licence CC BY-SA 3.0)

Le collectif Israélo-Canadien formé de Yong-Bi Fu et de ses collaborateurs a cherché à comprendre les mécanismes génétiques de réponse au réchauffement climatique chez des populations sauvages. Ce travail est décrit dans un article en Open Access publié dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America (PNAS) en septembre 2019. Dix populations d’amidonnier sauvage (Triticum dicoccoides Koern.), une forme de blé primitif, ont été échantillonnées en Israël, à la fois en 1980 puis 28 ans plus tard, en 2008, période sur laquelle les températures ont augmenté et les précipitations ont diminué en Israël. L’exome, c’est-à-dire les parties du génome codant pour des protéines, a été comparé entre ces populations. Les changements ont été étudiés en terme de mutation, sélection, diversité et différentiation entre populations.

Par rapport au premier échantillonnage en 1980, les populations de 2008 dans leur ensemble subissaient davantage de sélection, leur diversité génétique avaient diminué et elles portaient un fardeau génétique accru. Ce fardeau génétique représente la proportion de mutations non synonymes, c’est-à-dire qui changent la séquence en acides aminés, souvent de manière délétère. Toutefois, les résultats variaient selon les populations étudiées et certaines avaient même réussi à sélectionner des mutations bénéfiques, déjà présentes en fréquence faible en 1980 ou survenues après. La comparaison de populations poussant dans des conditions environnementales contrastées aussi bien que la fonction des gènes ayant le plus divergé au cours de la période d’étude indiquent que, sur les populations étudiées, l’augmentation de la température aurait eu un impact plus important que la baisse des précipitations.

Effet du réchauffement climatique sur les mutations

Effet du réchauffement climatique sur les mutations des populations d’amidonnier sauvage. Sur ce schéma, les populations ont été regroupées en six groupes selon la quantité de précipitations annuelle de la zone d’échantillonnage (gauche) ou de sa température moyenne annuelle (droite). Les populations des zones les plus sèches et celles des zones les plus chaudes sont celles qui avaient accumulé le plus de mutations délétères (A; fardeau génétique) et le moins de mutations avantageuses (B), qui leur auraient permis de s’adapter.

Si cette étude donne des indications sur le potentiel adaptatif des populations étudiées à résister au réchauffement climatiques en cours ou au contraire leur vulnérabilité, elle apporte surtout et plus généralement des espoirs quant à de futurs travaux de modélisation plus réalistes pour comprendre les facteurs d’adaptabilité ou de vulnérabilité des populations naturelles au changement climatique. De tels modèles pourraient être utilisés comme outils d’aide à la décision pour la prise de mesures de préservation des populations naturelles.

Ces populations naturelles ne sont pas que des « mauvaises herbes ». Ainsi, du fait de sa proximité avec le blé, l’amidonnier sauvage représente une ressource potentiellement utile pour l’amélioration génétique du blé concernant les stress abiotiques (tolérance à la sécheresse, chaleur, etc.) ou biotiques (tolérance aux pathogènes et ravageurs). Toutefois, ces ressources sont mises en péril par les activités humaines directes comme l’urbanisation et l’agriculture ou indirectes comme le réchauffement climatique.

Références de l’article :

Yong-Bi Fu, Gregory W. Peterson, Carolee Horbach, David J. Konkin, Avigdor Beiles, and Eviatar Nevo (2019) Elevated mutation and selection in wild emmer wheat in response to 28 years of global warming. PNAS. Publié en Advance Access le 19 septembre 2019

Ils n’ont pourtant pas lu Stendhal ! Sélection équilibrante pour le maintien d’un polymorphisme de couleur chez le Diamant de Gould

Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer le cas d’une sélection équilibrante par avantage aux hétérozygotes, promouvant le maintien d’un polymorphisme de couleur, probablement assez récent, chez certaines populations alpines d’une plante, la Nigritelle noire. Il peut arriver que le maintien du polymorphisme de couleur se fasse sur une très longue période, déjouant les règles générales de l’évolution des caractères : fixation du phénotype avantageux par sélection positive ou fixation de l’un ou l’autre des phénotypes par dérive si la différence de valeur sélective entre les phénotypes est minime.

Le Diamant de Gould (Erythrura gouldiae) présente deux morphotypes vivant en sympatrie. Ces morphotypes diffèrent pour la couleur de la tête, contrôlée par un locus nommé Red porté par le chromosome Z (chez les oiseaux, les femelles portent les chromosomes sexuels ZW alors que les mâles portent les chromosomes sexuels ZZ). On distingue ainsi un allèle récessif Zr et un allèle dominant ZR. Les mâles Zr/Zr et les femelles Zr produisent de la mélanine chez le morphotype noir, tandis que les mâles ZR/ZR ou ZR/Zr et les femelles ZR produisent des caroténoïdes chez le morphotype rouge.

Morphotypes rouge et noir de Diamant de Gould, en captivité. Crédit image : Eugen Bonner, licence Pixabay

Morphotypes rouge et noir de Diamant de Gould (Erythrura gouldiae), en captivité. Crédit image : Eugen Bonner, licence Pixabay

Dans une publication parue fin avril 2019 dans Nature Communications, le consortium d’Américains, Britanniques et Australiens constitué par Kang-Wook Kim, Benjamin C. Jackson et leurs collaborateurs a précisé par génétique d’association la position du locus Red dans une région intergénique du chromosome Z. Ce locus agirait comme une région régulatrice d’un gène à effet pléiotrope localisé à proximité, le gène follistatin (FST), puisque les morphotypes diffèrent aussi pour des niveaux d’hormones de stress, de personnalité, de dominance sociale, … et notamment la structure des plumes dont le lien avec FST est bien connu.

La diversité présente autour du locus Red a été caractérisée. Sur une région d’environ 70 kpb autour de Red, et par comparaison à d’autres régions du chromosome Z, les auteurs ont identifié des patrons de polymorphisme suggérant une sélection équilibrante au locus Red : un fort déséquilibre de liaison, une forte diversité et un fort niveau différentiation entre les allèles ZR et Zr. Ainsi, l’indice de fixation de Wright FST est très élevé à Red (0,951) alors qu’il est faible (en moyenne de 0,038) sur les autres régions du chromosome Z, suggérant qu’en dehors de ce locus, les morphotypes ne sont pas en cours d’isolement génétique, contrairement à ce que le laissait suggérer les incompatibilités pré- et post-zygotiques entre morphotypes, observées sur des populations en captivité.

L’étude d’un arbre de gène montre que malgré la très forte divergence entre les allèles ZR et Zr, les allèles des morpotypes rouge et noir forment un groupe monophylétique. Cela suggère que ces deux allèles ont divergé depuis l’apparition de l’espèce Diamant de Gould et ne représentent pas un polymorphisme trans-spécifique (présence d’allèles dont l’origine remonte avant l’événement de spéciation).

Arbre de gène du locus Red. a) Illustrations des espèces du genre Erythrura, notamment à droite les morphotypes noir et rouge du Diamant de Gould (E. gouldiae). b) Arbre de maximum de vraisemblance obtenu au locus Red pour la famille des Estrildidae. La longueur des branches est proportionnelle à la divergence entre les séquences étudiées. On notera que la divergence entre les séquences portées par les deux morphotypes rouge et noir du Diamant de Gould est plus importante que la divergence entre les séquences des autres espèces du genre Erythrura.

Arbre de gène du locus Red. a) Illustrations des espèces du genre Erythrura, notamment à droite les morphotypes noir et rouge du Diamant de Gould (E. gouldiae). b) Arbre de maximum de vraisemblance obtenu au locus Red pour la famille des Estrildidae. La longueur des branches est proportionnelle à la divergence entre les séquences étudiées. On notera que la divergence entre les séquences portées par les deux morphotypes rouge et noir du Diamant de Gould est plus importante que la divergence entre les séquences des autres espèces du genre Erythrura.

Il est possible que les deux allèles aient pu dans un premier temps évoluer indépendamment dans un contexte d’allopatrie ancienne suivi d’un contact secondaire. Parmi les mécanismes expliquant le maintien de ce polymorphisme par sélection équilibrante, les auteurs proposent la sélection fréquence-dépendante. On peut penser que les mâles rouges devraient être avantagés car il a été montré qu’ils sont préférés par les femelles des deux morphotypes et ils bénéficient d’un statut de domination dans la structure sociale. Toutefois, ils sont aussi victimes de forts niveaux de stress et auraient un succès reproducteur moindre par rapport aux mâles noirs lorsque les agressifs mâles rouges deviennent trop nombreux. Il est aussi possible qu’un antagonisme sexuel intervienne : si les mâles rouges seraient sélectionnés, les femelles rouges seraient contre-sélectionnées, comme le suggère le fait que l’intensité de couleur soit très réduite chez les femelles rouges dans la nature.

Références de l’article :

Kang-Wook Kim, Benjamin C. Jackson, Hanyuan Zhang, David P. L. Toews, Scott A. Taylor, Emma I. Greig, Irby J. Lovette, Mengning M. Liu, Angus Davison, Simon C. Griffith, Kai Zeng, Terry Burke (2019) Genetics and evidence for balancing selection of a sex-linked colour polymorphism in a songbird. Nature Communications. 10:1852. Publié le 23 avril 2019.

Entre les mouches et les abeilles, son coeur balance : un réel avantage aux hétérozygotes à un gène de couleur de la fleur chez une plante alpine

Les raisons du maintien du polymorphisme dans les populations sont parmi les plus débattues en génétique des populations. Parmi ces raisons, la superdominance, c’est-à-dire un avantage de valeur sélective (une combinaison de la survie et de la fertilité) pour les individus hétérozygotes à un locus unique, fait partie des bizarreries génétiques passionnantes, à l’impact minime sur l’évolution globale du génome, mais qui peut s’avérer important pour l’évolution de certains caractères phénotypiques. Il a en effet été documenté un rôle important de la superdominance dans les relations hôtes-parasites : par exemple la relation entre l’anémie et le risque d’infection par la malaria au niveau du gène de l’hémoglobine et les gènes HLA et la progression de la maladie chez les porteurs du VIH. Dans tous les cas étudiés, la superdominance s’explique plus par un désavantage (effet délétère) aux homozygotes que par un avantage réel aux hétérozygotes. C’est parce que les homozygotes HbAA sont plus susceptibles d’être infectés par la malaria, même s’ils ne sont pas anémiés, et parce que les homozygotes HbSS sont victimes de sérieuses anémies, même s’ils sont peu sensibles à la malaria, que les hetérozygotes HbAS sont avantagés dans les régions à forte prévalence de la malaria.

Une étude publiée début 2019 dans Nature Communications par Kellenberger et al., un consortium de chercheurs et chercheuses de Suisse, Autriche, Etats-Unis d’Amérique, Allemagne et Royaume-Uni, montre un cas réel d’avantage aux hétérozygotes chez la nigritelle noire (Gymnadenia rhellicani), une orchidée alpine.

Un morphotype noir de Nigritelle noire

Alors que le morphotype noir domine largement les populations de Nigritelle partout ailleurs, une population du plateau Puflatsch (nord de l’Italie) montre des proportions de morphotypes plus équilibrées : 62% de noirs, 28% de rouge et 10% de blanc. Un suivi de la population entre 1997 et 2016 indique que sur cette période la fréquence des morphotypes rouges et blancs a augmenté tandis que la fréquence du morphotype sauvage noir a diminué. Le morphotype rouge a montré un taux significativement plus élevé de graines produites, ce qui suggère que sa valeur sélective (fitness) serait plus importante. Chez cette espèce à fécondation croisée productrice de nectar, ce résultat s’explique par les préférences des insectes quant aux fleurs visitées : alors que les abeilles vont davantage visiter des fleurs sombres que des fleurs claires, les préférences sont inversées chez l’autre pollinisateur majeur de cette plante, les mouches. Le morphotype rouge semble être le seul qui soit à la fois populaire chez les abeilles et les mouches.

nigritelle_fig

a. Morphotypes noir, rouge et blanc.
b. Evolution de la proportion des morphotypes de la population de Puflatsch entre 1997 et 2016.
c. Valeur sélective (fitness) des trois morphotypes.
d. Relation entre la valeur sélective et la pollinisation : les plantes en cage, non pollinisée par les insectes, ont une valeur sélective quasi-nulle, contrairement aux plantes librement visitées par les insectes.
e. Nombre de visites par les mouches et les abeilles, selon le morphotype

 

Les différents morphotypes seraient expliqués par une mutation au niveau d’un facteur de transcription de type MYB qui régulerait l’expression du gène codant l’anthocyanidine synthase (ANS), l’enzyme produisant des cyanidines, principal pigment des morphotypes colorés. Les plantes de morphotype noir étaient toutes homozygotes pour l’allèle sauvage, tandis que les plantes de morphotype blanc ne portaient jamais cet allèle et que les plantes de morphotype rouge étaient hétérozygotes pour l’allèle sauvage. Des mutations différentes mais sur le même gène MYB ont aussi été observées dans une autre population de cette espèce, au Monte Bondone, à 75 km de la population initiale. Ces mutations indépendantes, observées pour des individus rouges ou blancs, suggèrent une évolution parallèle des morphotypes clairs chez au moins deux populations différentes.

Cette étude chez la nigritelle noire représente une première mise en évidence claire d’un réel cas d’avantage aux hétérozygotes, plutôt qu’une sélection indirecte des hétérozygotes par le biais d’effets délétères observés chez les génotypes homozygotes. Elle vient donc confirmer les travaux de Theodosius Dobzhansky qui avait introduit dans les années 1950 le concept de superdominance et montre que ce concept pourrait permettre d’expliquer certains cas de maintien de polymorphisme dans la nature.

Références de l’article :

Roman T. Kellenberger, Kelsey J. R. P. Byers, Rita M. De Brito Francisco, Yannick M. Staedler, Amy M. LaFountain, Jürg Schönenberger, Florian P. Schiestl, Philipp M. Schlüter (2019) Emergence of a floral colour polymorphism by pollinator-mediated overdominance. Nature Communications. 10: 63. Publié le 8 janvier 2019.