Jacques Delors et le marché unique européen

Jacques Delors est décédé.

Il a été l’initiateur et le négociateur de l’Acte unique, le traité européen qui a fait basculer l’UE dans le néolibéralisme.

Pour la plupart des gens, le traité européen le plus important est celui de Maastricht (1992), car il a permis la création de la monnaie unique et qu’il a donné lieu à un référendum âprement débattu où le « oui » l’a emporté de justesse.

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Les cryptoactifs : une tentative de mise en œuvre de l’utopie libertarienne

Dans un ouvrage remarquable publié en 2011 et traduit en français deux ans plus tard[1], l’anthropologue américain David Graeber entend montrer que les sociétés sont largement fondées sur des rapports de dette, c’est-à-dire sur des engagements qui lient les individus entre eux et structurent leurs relations. Toute relation interpersonnelle approfondie implique des promesses qu’on se fait les uns aux autres. On doit la vie à ses parents, assistance à son conjoint et soutien à ses amis. Ces engagements mutuels se retrouvent partout où coexistent des êtres humains. Ils peuvent néanmoins prendre des formes variées. Par exemple, chez les femmes Tiv du Nigéria, les relations sociales sont sans cesse entretenues par des cadeaux qui nécessitent d’être rendus mais qui ne le sont jamais pour une valeur équivalente, ceci afin de préserver les dettes et de perpétuer les échanges et les rapports de bon voisinage. Car payer sa dette, c’est « être quitte », rompre toute promesse, et n’avoir plus besoin de l’autre[2].

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La politique monétaire au défi des faillites bancaires

La faillite de la SVB et les difficultés du Crédit Suiss ont fait naitre la crainte d’une nouvelle crise bancaire et financière. En réalité, les risques de contagion et d’un effondrement du système bancaire sont faibles. Néanmoins, cette crise démontre les difficultés auxquelles sont confrontées les banques centrales dans leur stratégie de hausse des taux d’intérêt.

Entrée de la Silicon Valley Bank qui a fait faillite le 10 mars 2023

Est-on à l’aube d’une nouvelle crise financière ? L’annonce, le 10 mars dernier, de la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB), 16ème banque des États-Unis, a eu des répercussions mondiales. C’est la plus importante faillite bancaire dans ce pays depuis la crise financière de 2008. Événement isolé ? Pas tant que ça puisque, quelques jours auparavant, c’était la société Silvergate, spécialisée dans la gestion des cryptoactifs, qui avait déposé le bilan ; puis le 11 mars, soit le lendemain de la faillite de la SVB, on apprenait que les autorités fermaient une troisième banque, qui avait elle aussi beaucoup investi dans les cryptoactifs, Signature Bank. Lundi, les cours boursiers des grandes banques françaises dévissaient sur les marchés boursiers à tel point que Bruno Le Maire se sentit obligé d’affirmer, sur France Info, que « notre système bancaire est solide », et qu’il ne voyait pas de risque de contagion. Mais voici que le surlendemain, le 15 mars, on apprenait que le Crédit suisse connaissait à son tour des difficultés après le refus des Saoudiens de participer à une hausse de capital. Nouvel effondrement boursier des valeurs bancaires. Tout le monde sait que lorsqu’un ministre de l’Économie se donne la peine de rassurer les Français, c’est qu’il y a de quoi s’inquiéter. Aussi a-t-on vu immédiatement fleurir des vidéos et des propos alarmistes sur les réseaux sociaux comme quoi la prochaine crise financière aurait déjà commencé.

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Pourquoi le bitcoin est sans avenir

Article paru dans la Tribune.

Le bitcoin est né dans une période de crise, après le krach de 2008. A l’époque, il se présentait comme une innovation radicale et entendait répondre à la défiance envers l’État et les banques. Il s’agissait, pour ses partisans, de promouvoir un système financier et monétaire alternatif et autonome, détaché des États, des banques, et qui ne reposerait pas sur des tiers de confiance. Cependant, force est de constater que le bitcoin tombe dans les mêmes travers que la finance classique. Le cours du bitcoin est procyclique, c’est-à-dire qu’il suit et amplifient les évolutions des marchés financiers traditionnels. Ainsi, contrairement à l’or ou au franc suisse, il ne s’agit pas d’une valeur refuge qui s’apprécierait en période de crise.

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« La transition écologique implique un effort similaire à celui du passage à une économie de guerre »

Entretien accordé à Jean Bastien pour le site Nonfiction.

Vous avez intitulé ce nouvel ouvrage Déclin et chute du néolibéralisme, mais avant d’envisager cette issue, vous rappelez les conditions qui ont permis l’installation du néolibéralisme à partir des difficultés rencontrées par les économies régulées, qui, elles, faisaient une large place au contrôle des prix à partir de la fin des années 1960 et du début des années 1970. Quelles sont ces conditions ? Pourriez-vous en dire un mot ?

Rappelons tout d’abord que le principe fondamental de la doctrine néolibérale est d’organiser le fonctionnement de la société à partir des prix de marché.

Pour les néolibéraux, les prix sont censés avoir deux grandes fonctions. La première est de déterminer la valeur et de permettre le calcul économique. En effet, tout choix politique suppose un calcul coût / avantage. Mais pour effectuer ce type de calcul il faut au préalable quantifier la valeur. C’est à cela que servent les prix de marché. Leur seconde fonction est de coordonner les actions et les choix individuels en établissant un système d’incitations dynamique. Les agents économiques sont ainsi « programmés » par les prix. Ils consomment moins et produisent davantage une ressource dont le prix s’accroit et inversement si son prix diminue.

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« Depuis la crise financière, on a tourné le dos au principe des prix de marché »

Interview accordée à Clotilde Mathieu parue dans l’Humanité magazine.

Pourquoi estimez-vous que la crise énergétique est un symptôme de la fin du système néolibéral ?  

À l’origine, le néolibéralisme repose sur une forme de rationalité qui consiste à s’appuyer sur les prix de marché pour quantifier la valeur et par là arbitrer des choix. Ces prix permettent aux économistes, aux hommes politiques, de calculer les gains et les coûts de telle ou telle décision. Cette logique n’est cependant pas sans défaut. D’une part, les marchés sont souvent incapables d’évaluer correctement la valeur fondamentale de nos ressources. C’est cette défaillance qui a entraîné la crise des subprimes de 2008 et celle de l’énergie qu’on connait aujourd’hui. La flambée des prix du gaz et du pétrole est la conséquence non pas d’un renchérissement des coûts d’extraction mais de la spéculation liée à la réduction de l’offre. Ainsi, l’idée que les marchés permettraient de dépolitiser et de rationaliser les choix est en échec. D’autre part, on ne parvient jamais longtemps à laisser les marchés déterminer la valeur. Depuis la crise financière, on a en effet tourné le dos au principe des prix de marché en engageant des politiques de quantitative easing (assouplissement quantitatif). Ces pratiques ont permis aux banques centrales des pays développés de baisser artificiellement les taux d’intérêt afin de permettre aux États de financer des plans de relance, de faire face à la crise COVID ou de gérer la crise de de la zone euro. C’est pourquoi le monde de la finance est déjà en partie sorti du néolibéralisme.

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« L’idéologie du Bitcoin refuse l’existence même de l’État »

Entretien avec Thomas Chenel pour Capital.

Pourquoi n’avez-vous pas souhaité participer à la conférence Surfin’Bitcoin?

D’un point de vue déontologique, je préfère ne pas participer à ce genre d’événement, qui est soi-disant pluraliste, mais avec des intervenants libertariens qui ont des postures très idéologiques. C’est en outre un événement payant, organisé par une entreprise. Pour moi, cela ne relève pas du colloque scientifique, mais plus d’une forme de propagande. Je ne fais pas du tout partie de ce milieu-là.

Dans l’absolu, j’aurais bien aimé débattre avec des militants des cryptos sur les questions monétaires. Mais le cadre payant et l’environnement acquis à une certaine cause ne me semble pas très pertinent pour avoir un débat contradictoire.

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Un vote de sécession ?

Le résultat du premier tour de l’élection présidentielle peut être lu de deux manières. Si l’on suit une grille de lecture politique, on peut comptabiliser trois blocs idéologiquement cohérents et de force comparable. La droite néolibérale rassemble 32,63 % des voix autour des candidatures d’Emmanuel Macron et de Valérie Pécresse ; l’extrême droite identitaire (Le Pen, Zemmour et Dupont-Aignan) constitue un deuxième bloc qui pèse 32,28 % des suffrages ; enfin, le total des voix de gauche et d’extrême gauche représente un dernier bloc rassemblant 31,94% de l’électorat. Reste les 3,13% des électeurs de Jean Lassalle, inclassable politiquement.

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Quel bilan pour les vingt ans de l’euro?

Ce texte correspond au travail de préparation d’une interview vidéo accordée au Figaro.

Cela fait 20 ans aujourd’hui que nous avons abandonné les monnaies nationales pour l’euro. Pour aucun candidat à la présidentielle, il n’est question de revenir sur la monnaie unique. Les Français ne veulent plus en entendre parler ?

Les Français craignent surtout pour leur épargne et leur pouvoir d’achat. Changer de monnaie leur paraît sans doute comme un saut dans l’inconnu.
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Le populisme de gauche a-t-il un avenir ?

Depuis le milieu des années 2010, inspirée par les exemples de Podemos ou de Syriza, ainsi que par des mouvements tels que Occupy Wall Street ou los Indignados, une partie de la gauche a conçu, puis mis en œuvre, une stratégie politique fondée sur le « populisme de gauche ». Son but était de répondre aux impasses de la gauche de gouvernement accusée de s’être compromise, au nom du « réalisme » et de la bonne gestion, en accompagnant et en légitimant le cadre néolibéral du capitalisme contemporain.

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