Feu de camp ou trou d’eau

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Au cours des visites de #cyc4lib, et tout particulièrement au Danemark, dès qu’on parlait réaménagement, les professionnels nous disaient, “vous savez, c’est ce que dit The Model program for public libraries”. Moi, je ne voyais pas trop, mais j’ai vite compris l’intérêt de la chose !

Le festival Next Libraries et notamment l’atelier Flexible learning spaces in libraries (espaces d’apprentissage modulables pour bibliothèques) animé par Jens Lauridsen, co-rédacteur du Model program for public library et de l’architecte/designer Rosan Bosh m’a permis de donner du sens aux intentions délibérément mises en espace dans les bibliothèques, petites ou gandes, publiques ou universitaires,  visitées au cours du Nordic Tour. Au delà des intentions vagues, comme l’incontournable déclaration à chaque discours sur la bibliothèque 3e ou 4e lieu ou le “learning center”, ce modèle conceptuel est une boîte à outils précieuse pour penser l’évolution des espaces, et réfléchir sur l’essentiel avant de s’embarquer dans des discussions techniques sur le mobilier en cas de simple réaménagement, ou sur la programmation fonctionnelle d’un nouveau bâtiment, si souvent marquée en France, de manière inconsciente, par la projection des habitudes acquises plutôt que par l’invention d’un nouveau fonctionnement.

I. Les concepts du Model program fo Public Libraries Danois

Le Model program for public libraries consiste, comme son nom l’indique, à “modéliser” à quelles intentions délibérées doivent répondre les espaces en bibliothèque. Chacune est illustrée d’un lien vers un album de mes photos #cyc4lib sur des propositions de mises en espace. 4 grandes intentions

5 zones se prêtent particulièrement à la mise en oeuvre de ces intentions, la zone d’arrivée (ou l’entrée, pour une traduction moins littérale), la place publique (agora, ou un usage tout trouvé pour les atriums dont raffolent les architectes de bibliothèques), la présentation des collections, les espaces d’étude et ceux d’apprentissage. De très bonnes photos illustrant tout ça sur la partie Challenges in the libraries zone and spaces du Model program for PL.

La zone d’arrivée La place publique

 

 

 

 

 

 

 

 

La présentation des collections

 

 

 

 

 

La zone d’étude

 

 

 

 

 

 

 

La zone d’apprentissage

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette modélisation est utile pour faire réfléchir très en amont des projets. Elle sert de support à une boîte à outils permettant de doter d’un langage commun et de guider la réflexion de groupes de travail mêlant professionnels des bibliothèques, du bâtiment, utilisateurs et décideurs. On y trouve notamment, un diaporama d’explicitation et des trames d’ateliers participatifs que j’ai hâte d’essayer.

II. 5 icônes pour décrire les usages (Rosan Bosch)

rosan_bosh_icons Au cours de l’atelier, Rosan Bosch a brillamment montré, en 20 minutes chrono, comment 5 icônes pouvaient traduire le point de vue de l’utilisateur des espaces, et surtout, une fois leur signification comprise, d’échanger sur la typologie des usages individuels, de travailler sur leurs places respectives et clarifier les intentions avant de se noyer dans les détails en parlant mobilier et CCTP. En bref, et de mémoire (si vous voulez en savoir plus, allez donc regarder son fort beau livre en texte intégral sur issuu qui contient des images belles à tomber) :

  • Show off ou Mountain, Discours sur la montagne : recouvre toutes les configurations où une personne s’adresse à beaucoup (amphithéatre, salle de spectacle, salle de cours traditionnelle, etc.) : album
  • CaveCocon : lorsqu’un utilisateur veur passer en mode “introverti”, se sentir tout seul, être dans sa bulle, protégé du monde extérieur : album
  • CampfireFeu de camp : les gens se retrouvent et échangent autour d’un point focal, qui peut être une table, un écran partagé, un nid douillet de lecture et où on peut rester longtemps ensemble : album
  • Watering holeTrou d’eau : la métaphore est celle de la mare où les animaux de la savane vont tour à tour boire le soir. C’est l’endroit où l’on ne fait que passer, où on se croise pour de brefs échanges, où on se rejoint, s’attend, sans se poser pendant des heures.
  • Laboratory ou Hands upla main à la pâte : l’endroit où on fait des choses de ses mains ou de son corps, où l’on peut bouger, être en mouvement, où on manipule, des outils, des matériaux : makers spaces, toboggans, zones d’activités pour tout petits, zone de jeux, etc.

Ces 5 icônes permettent de parler des usages attendus, de penser leur coexistence, dans le temps ou dans l’espace, et de répondre aux besoins d’utilisateurs différents, ou aux différents besoins d’un même utilisateur, sans privilégier, inconsciemment un modèle unique : combien de bibliothèques n’ont été programmées qu’avec une vision des salles de lecture où chaque place est un cocon incomplet présupposant un silence de mort et un unique espace de conférences très formalisé ne se prêtant qu’aux présentations magistrales ?

Avec ces deux outils, vous ne regarderez plus de la même manière les bibliothèques, et pourrez parler autrement – et tous ensemble – de la manière de faire évoluer l’aménagement des espaces.

Si vous voulez vous mettre en jambes, vous trouverez sur le site du Model program une vingtaine d’études de cas, accompagnées d’explications et souvent de plans et documents de travail qui mettent en espaces ce type de modélisation. Et comme je l’ai fait pour le présent billet, après des visites de bibliothèques, amusez-vous à classer vos photos selon les grandes typologies d’intention du Model Program et les icônes d’usage à la Rosan Bosch. Rien de tel pour éduquer le regard et l’esprit !

III. Les Legos pour imaginer ensemble des solutions à des problèmes complexes

Une dernière piste méthodologique pour penser et parler de la programmation d’espace en bibliothèques, l’utilisation des Legos et autres méthodes projectives pour libérer l’imagination et la créativité et sortir des idées préconçues. La méthode employée lors de l’atelier Everything is Awesome, était simple :

  • masses de Lego sur les tables,
  • fiche distribuée au hasard à chaque participant, avec 1 thème à choisir parmi 3 (Atelier de céramiste, Jour de rentrée, Pharmacie chinoise) comprenant un petit scénario à représenter avec les Legos, très génériques, proposés sur les tables
  • 30 minutes de construction
  • Restitution orale en moins d’une minute par chaque participant de son projet en Lego mettant en espace la situation décrite.

20150914_102225-COLLAGE

Le résultat des restitutions est fascinant : chaque situation donne lieu à des mises en volume et des partis pris très différents, et chacun prend conscience de la créativité et de la multiplicité des angles selon lesquels un problème peut être abordé, et des peurs inconscientes qui peuvent être exprimées “dans le jeu” : bien plus de choses que ne le laissait supposer un dispositif consistant à retrouver des gestes d’enfant.

Une fois l’esprit ouvert par la manipulation de Lego, place à une méthode projective plus classique, où par groupes de 4 ou 5, chacun devait fabriquer, à l’aide d’images à découper et de mots clés, un poster d’appui à une présentation synthétique pour proposer comment… faciliter la vie d’un utilisateur à son arrivée le premier jour, expliquer le mode d’emploi d’une salle équipée de matériels complexes ou résoudre un problème précis dans un environnement apparemment hermétique et plein de codes inconnus pour l’utilisateur.

Ces situations vous sont familières, n’est-ce pas ?

J’ai été vraiment épatée par la qualité des restitutions et des projets, à l’issue d’un travail collectif de 30 minutes seulement. L’atelier en tout et pour tout a duré 1h45, restitutions comprises, et valait bien des réunions de lancement à Powerpoint…. comment disait Rosan Bosch déjà ? hum, Discours sur la montagne ! De quoi donner envie d’avoir des espaces “Main à la pâte” dans nos organisations, y compris pour travailler “en interne”. Les biblioremix apportent cette culture en bibliothèque et c’est tant mieux. A nous de jouer.